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Anlor : « Ladies with guns placent aux premiers plans les traditionnels seconds rôles féminins du western » [INTERVIEW]

Par Charles-Louis Detournay le 13 octobre 2022                      Lien  
Décidément aujourd'hui sur ActuaBD et dans le monde de la BD, l'heure est au western féministe. La vie était rude à l’époque du Far-west, mais elle l’était généralement encore plus pour les femmes. Anlor, Olivier Bocquet et Elvire De Cock les mettent à l’honneur dans ce western pétaradant en inversant les rôles. Ces femmes normalement cantonnées au second plan, se retrouvent aux rênes de leur destin, et elles sont bien décidées à ne plus se laisser marcher sur les pieds !

Anlor : « Ladies with guns placent aux premiers plans les traditionnels seconds rôles féminins du western » [INTERVIEW]Anlor, comment vous êtes-vous retrouvée embarquée dans ce western déjanté ?

Le scénariste de la série Olivier Bocquet en avait déjà parlé avec Dargaud, et ils cherchaient une dessinatrice pour porter ce projet qui met les femmes à l’honneur. Ils n’avaient pas vraiment de dessinatrice expérimentée en western en tête. Mais Olivier pensait à moi malgré le fait que je ne m’étais pas encore frotté au genre… ainsi que l’éditrice ! Quand ils ont réalisé qu’ils avaient la même personne en tête, à savoir moi, ils m’ont contactée. Il m’aurait été très difficile de refuser ce projet, surtout que j’ai été mise en confiance en apprenant qu’ils avaient tous deux pensé à moi de leur côté.

Le western vous est-il apparu comme une évidence ?

Honnêtement, pas du tout ! C’est un type de récit avec lequel je n’avais pas beaucoup d’empathie, car je ne m’étais pas souvent sentie touchée par des personnages de western.

Parce que le genre est codifié et met surtout des hommes à l’honneur ?

Pas forcément, même s’il est vrai que l’un de mes westerns préférés reste Mort ou Vif qui place une femme au premier plan. Mais j’adore aussi Danse avec les loups qui bénéficie d’un regard très décalé par rapport aux westerns plus classiques. Voilà donc des types d’histoires qui me font vibrer, celle qui porte un regard transversal plutôt que manichéen.

Et comment avez-vous appréhendé Ladies with guns ?

Dès qu’on me l’a raconté en deux-trois lignes, j’ai été hyper tentée ! Je sentais que s’il y avait un projet de western qui pourrait particulièrement me convenir, ce serait celui-ci ! J’ai été d’emblée touchée, même si je ressentais une certaine pression à dessiner un western, parce que je sais que, particulièrement en bande dessinée, ce type de récit reste important tant pour les lecteurs que les auteurs. Tous ceux qui s’y sont frottés sont de grands talents, je n’étais donc pas certaine de pouvoir relever le défi. Mais à partir du moment où je me suis convaincu que je devais le faire à ma façon, sans tenter de rentrer dans les bottes des autres, je me suis sentie beaucoup à l’aise de prendre le genre à bras le corps.

Où se trouvent vos influences ?

Il y a toujours des influences, dans tous les domaines. Mais à partir du moment où j’ai pris ce projet, j’ai essayé de ne pas me référer à des westerns particuliers. Pour autant, j’avais tout de même lu les classiques dans ma jeunesse : Blueberry bien sûr, mais aussi Durango que j’avais beaucoup apprécié car cet anti-héros me touchait.

Comment arriver à ce ton si particulier ?

Olivier voulait vraiment un projet qui soit ancré dans la pop culture : un récit vif, voire même hyper tonique. Sans renier la violence, il désirait la mélanger avec une forme d’humour dont il a le secret. Il a pris tous ces ingrédients pour parvenir à ce mixte très pop. Je me suis donc inscrite dans cette démarche, et c’est également en suivant cette idée, que nous avons contacté la coloriste Elvire De Cock que nous avions repérée pour ses couleurs très décalées, par des ciels roses ou des teintes assez inédites.

Un travail de couleurs qui se marie d’ailleurs parfaitement avec votre travail.

C’était une heureuse surprise ! Pour notre part, nous l’avons juste encouragée à poser des couleurs inattendues sur certaines séquences. Elle a relevé le défi avec plaisir car c’était assez différent de ce qu’on lui demandait d’habitude, et elle s’est amusée à travailler cela sans demi-mesure. Elle dispose de beaucoup d’autres registres, mais surtout du talent pour s’adapter aux propos, comme elle a pu le démontrer avec nous.

Concernant les personnages, comment avez-vous procédé ?

Voilà le challenge de tout dessinateur de bande dessinée : créer des personnages facilement identifiables. Souvent, nous avons tendance à stéréotyper un peu en fonction de la trajectoire qu’ils vont prendre. Pour le coup, Olivier Bocquet en avait fait l’essence même de son projet : prendre ces stéréotypes du second plan du western pour les mettre au premier plan et voir comment elles réagissent en prenant la vedette, face aux actions habituelles du genre : le braquage de banque, etc. À partir du moment où ces femmes sont toutes des stéréotypes, j’ai été dans ce sens-là pour qu’elles incarnent graphiquement leurs rôles.

Y a-t-il un aspect militant, en mettant des femmes à l’avant-plan dans un genre où elles restaient dans le décor ? Un peu à l’image du monde de la BD ?

Étant jeune, je lisais de la bande dessinée et je me rendais bien compte qu’elle était souvent réalisée par des hommes. Mais en tant que professionnelle, jamais je ne me suis sentie mise de côté, écartée ou n’ayant pas voix au chapitre parce que j’étais une femme. Bien sûr, la thématique de la série reste dans l’air du temps car la vague de fond féministe prend enfin ses lettres de noblesse. Ce n’est désormais plus honteux d’être féministe grâce à la nouvelle génération qui continue à travailler en ce sens. Et cela fait forcément du bien de renouveler un peu le genre en s’intéressant au point de vue des femmes et à leur façon de réagir face à des situations qu’on a déjà vues pleins de fois dans des westerns, et qui sont pour le coup traitées différemment.

Parfois, on nous a d’ailleurs fait la réflexion que les hommes présentés sont souvent machos, bêtes et méchants dans notre série. Tout d’abord, ce n’est pas le cas de tous les hommes, mais je dois avouer qu’on peut y trouver une part de jubilation : depuis soixante-dix ans, on lit et on regarde des westerns où les hommes sont omniprésents et les femmes des faire-valoir, et cela fait du bien de temps en temps d’avoir un récit qui inverse la tendance. Donc, ce n’est pas grave d’avoir pour une fois les femmes à l’honneur et les hommes au second-plan.

On ressent une évolution dans la série. Le premier tome est plus dynamique, tandis que le second opus prend le temps de s’intéresser à la psychologie de chacune de vos héroïnes ?

Dans ce second album qui vient de paraître, nous avons opté pour plus de moments intimistes au sein du groupe formé par nos cinq femmes, histoire de disposer de plages où elles réfléchissent à leur situation et se posent des questions. Cela découle également du récit en lui-même. Dans le premier tome, tout leur arrive sur la gueule (pardon, mais il n’y a pas d’autres mots à la vue des problèmes qu’elles rencontrent), et elles réagissent comme elles peuvent, presque par réflexe, en étant en permanence dans un acte de survie spontané. Alors que dans le second tome, elles réalisent que la situation a été générée et qu’il va falloir maintenant réfléchir, se poser et comprendre comment réagir pour s’en sortir.

Une double page du tome 2

Ce second opus reste néanmoins très dynamique ?

Je pourrais vous parler des heures de cette composition graphique, car c’est ce que j’adore réaliser. D’un côté, je modifie le gaufrier traditionnel pour casser le repère orthonormé des pages, tout en me laissant la possibilité de parfois faire exploser les cadres. Je travaille aussi les onomatopées pour que l’on entende véritablement les bruits, qu’ils en deviennent assourdissants, jusqu’à parfois devenir une grille au sein de laquelle elles sont enfermées. Bref, j’adore jouer sur tous ces codes narratifs de la bande dessinée pour immerger d’avantage le lecteur.

Il y a également des trouvailles qui proviennent du scénariste, lorsqu’il m’indique, par exemple, que nous allons travailler une double page, avec deux actions simultanées, à deux endroits différents, et qu’il faudrait que l’on voie les deux et le décalage qui se produit. Chaque tome bénéficie de ces petites astuces scénaristiques, que je considère comme des petits défis que j’adore relever, et que je tente de mettre le mieux possible en images.

Nous cherchons en réalité à réveiller le lecteur dans les cinq-six pages. Nous ne cherchons pas à le prendre par la main, en lui glissant des récitatifs comme « Quelques jours plus tard ». En revanche, on essaie de lui faire comprendre qu’on se situe dans un flashback, ou une scène rêvée. Je trouve que lorsque le lecteur doit faire un effort pour rester dans l’histoire afin de bien la comprendre, il s’engage davantage dans l’histoire et il en ressort avec l’impression d’avoir vraiment participé au récit. En tant que lectrice, c’est ce que j’adore, tout autant que lorsque je suis spectatrice de séries ou de films. Lorsque je sais qu’on me demande de réfléchir, je suis contente lorsque je comprends qu’une séquence se situe à un autre moment, et je suis alors encore plus engagée dans ce que l’on me raconte. Et pour ma part, je trouve qu’émotionnellement, on en sort alors grandi lorsque cet effort d’investissement personnel est ainsi récompensé. C’est de cette manière que nous cherchons à entrer en relation avec notre lecteur.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

Une autre double-page de ce tome 2

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205202816

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