Romans Graphiques

Dans la peau du bourreau - Anatole Deibler (1863-1939) - Par Olivier Keraval et Luc Monnerais - Editions Locus Solus

Par Romain GARNIER le 3 novembre 2022                      Lien  
Qui imaginerait aujourd'hui un homme célébré par les médias, connu du peuple, présent dans la culture populaire, sous prétexte qu'il est responsable des exécutions publiques ? Anatole Deibler, exécuteur en chef de la République de 1885 à 1939, fut de ceux-là. Dans ce roman graphique élégamment illustré, Olivier Keraval et Luc Monnerais relatent les pensées de ce célèbre bourreau au rythme des affaires criminelles de son temps. Un très beau récit à découvrir aux éditions Locus Solus.

La première chose à savoir sur Anatole Deibler est qu’il a tenu, sa carrière durant, des petits carnets dans lesquels il relatait ses exécutions. Les premières sont réalisées sous la houlette de son père, le métier de bourreau étant de famille. Ses pensées finissent par disserter sur la tenue des procès, ses rencontres, ainsi que le débat houleux qui anime son temps : l’abolition de la peine de mort. Au contraire de ce que l’on peut imaginer, la tentative d’abolition de la peine capitale, portée par les Lumières dès le XVIIIème siècle, est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. En vain. De nombreux présidents républicains, dont le premier fut Jules Grévy, usèrent de leur droit de grâce afin de défendre leurs positions abolitionnistes. Au point qu’Anatole Deibler dût se reconvertir un temps dans le placement de champagne. La première vertu de ce roman graphique est celle-ci : replacer le débat sur la peine de mort dans le temps long, bien avant Robert Badinter et la loi de 1981.

Dans la peau du bourreau - Anatole Deibler (1863-1939) - Par Olivier Keraval et Luc Monnerais - Editions Locus Solus
© Locus Solus

Anatole Deibler lui-même se questionne sur le sujet, venant parfois à douter de sa tâche. Là est la deuxième vertu de cet album. Les auteurs ont tiré des carnets d’Anatole Deibler un récit à la première personne d’une grande qualité d’écriture. Le mérite revenant à Olivier Keraval. Il nous donne à voir un homme cultivé derrière l’image du bourreau qu’on imagine bourru et peu porté sur le savoir. Pourtant, c’est à cela qu’Anatole Deibler occupe son temps entre deux exécutions : lire. L’invitation au voyage que représente la littérature est pour lui un précieux réconfort depuis sa tendre enfance. L’écriture est quant à elle un exutoire. Au-delà, l’homme s’intéresse aux innovations de son temps, obtenant le permis, découvrant le cinématographe, etc.

© Locus Solus

Troisième vertu : découvrir les célèbres affaires criminelles du temps à travers la carrière d’Anatole Deibler. Le roman graphique comprend un sommaire avec un prologue, quatorze chapitres et un épilogue, le tout assorti d’un petit cahier documentaire. Si certaines affaires sont connues comme les attentats anarchistes des années 1890, l’affaire Joseph Vacher, l’affaire Landru ou la bande à Bonnot, d’autres sont moins connues. "La malle à Gouffé", qui donne lieu à de sordides produits dérivés, le traitement de l’inceste de Violette Nozière ou l’assassinat présidentiel perpétré par Gorguloff témoignent des soubresauts du temps, ainsi que des violences qui traversent la société française.

Anatole Deibler, photographié en 1900, exécuteur en chef de la République de 1885 à 1939

Dernière vertu s’il en est : la qualité des illustrations. De merveilleux crayonnés, des pleines pages, des dessins qui témoignent ou donnent du sens. Luc Monnerais réalise un très élégant travail graphique qui rythme et accompagnent le témoignage romancé d’Anatole Deibler. Ces pages et cases muettes accrochent le lecteur qui se perd dans cet ensemble noir et blanc.

Le seul reproche qu’il serait possible d’adresser à cet excellent roman graphique, que tous les passionnés d’histoires criminelles ne manqueront pas de se procurer, est de ne pas inviter davantage le lecteur à découvrir d’autres œuvres en lien avec les thématiques abordées. Nous pensons qu’il aurait été appréciable pour le lecteur de se voir recommander l’excellent film Le juge et l’assassin de Bertrand Tavernier (l’affaire Joseph Vacher), les écrits de Victor Hugo sur l’abolitionnisme (Le dernier jour d’un condamné par exemple) ou Réflexions sur la peine capitale d’Albert Camus et Arthur Koestler. Cela n’est toutefois qu’un infime bémol au regard de l’excellent travail de recherche et la qualité de l’œuvre proposée. Surtout, plus que jamais, nous avons envie de découvrir les carnets d’Anatole Deibler, l’intérêt premier de cette belle bande dessinée.

(par Romain GARNIER)

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Code EAN : 9782368334027

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