À l’heure où le conflit israélo-palestinien bat son plein et l’avenir de Gaza plus menacé que jamais, les éditions marseillaises d’Alifbata nous proposent de découvrir leur dernier album, un des lauréats du Palestine book awards 2022.
L’auteur y relate le quotidien du peuple gazaoui et ses épreuves quotidiennes. Œuvre émouvante d’un artiste ayant fait ses armes dans le dessin de presse. Nous ne retrouvons pas ici une prose élaborée, ni de long textes didactiques pour nous plonger dans le quotidien difficile des Palestiniens - ceux-ci étant confrontés à l’injustice et à l’oppression. Non, pour y parvenir, l’album se fonde sur la beauté de son esthétique et la simplicité de la narration. Celle d’un détenu qui, enfermé dans son trou, retrouve la liberté à travers l’art.
L’intrigue débute avec un oiseau qui se pose sur la fenêtre de la cellule du protagoniste et lui propose un marché surprenant : "Toi, tu fournis les crayons et moi, je fournis les histoires." Le détenu accepte cet accord, puis, en utilisant des crayons et des feuilles dérobées à son « enquêteur », il commence a donner vie à ces histoires.
Ces petits récits qui composent l’album témoignent du calvaire quotidien des checkpoints, des emprisonnements arbitraires, des assassinats et des familles séparées par les barreaux de la prison et de ce que l’on surnomme le Mur de la honte qui, depuis 2007, a placé Gaza sous une forme de blocus. Le territoire subit des bombardements à intervalles réguliers. Un monde vécu comme dystopique par des enfants qui ne voient se profiler aucun autre avenir que celui de devenir martyr, tandis que les artistes sont essentiellement requis pour peindre les portraits des morts qui ornent les rues de la ville.
Réalisé au Royaume-Uni à l’occasion d’une bourse de création, la bande dessinée de Sabaaneh, se fonde sur la linogravure, technique qui lui permet d’apporter une profondeur et une texture vive aux expressions et gestes des personnages. Chaque image est chargée.
Cette technique complexe exige de l’habileté, mais surtout de la patience. Une patience nourrie par la détermination à « graver leurs histoires [celles de son peuple] et à les faire connaître au monde. » Hériter des traditions littéraires arabes, il use de nombreuses allégories pour partager ses espoirs de liberté, mais aussi la complexité d’un conflit vieux de plus d’un demi-siècle.
Les figures du labyrinthe, du dragon et de la cage aux oiseaux en sont les plus manifestes et permettent d’éviter que la lecture devienne un via crucis fade. L’album fait usage de ces métaphores pour aller au-delà de la simple illustration de la vie carcérale et explore la manière dont la prison s’étend au-delà des murs, affectant les villes et les villages palestiniens, ainsi que leur mémoire collective.
Dans la lignée d’autres auteurs palestiniens, Mohammad Sabaaneh ne se positionne pas en tant que juge suprême de l’Histoire de son peuple, ni de celle des Israéliens, mais chronique avec une grande adresse la vie et le destin menacés de sa nation.
Un album à découvrir qui permettra aux lecteurs de mieux connaître une réalité souvent ignorée, voire niée, réalisé avec le même esprit critique que l’ouvrage Décrit-ravages de Baladi, tout en nous offrant une documentation annexe bien sourcée sur les conditions de vie à Gaza.
(par Jorge Sanchez)
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Je ne partirai pas : mon histoire et celle de la Palestine - Par Mohammad Sabaaneh. Éditions Alifbata. 128 pages. Noir et blanc - 20€.
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