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Julien Neel ("Lou") et Ismaël Méziane ("Nas, poids plume") : "La BD est une corporation sans bureau".

Par Jérôme BLACHON le 23 mai 2018                      Lien  
Un adolescent passionné de bande dessinée présente quelques planches à un auteur. Scène classique qui, bien souvent, reste sans lendemain. Parfois, la rencontre accouche d'une amitié. C'est le cas avec Julien Neel et Ismaël Méziane que nous avons rencontrés ensemble dans un nouvel espace dédié à la librairie la Bédérie, à Aix-en-Provence.

 [1]

- Ismaël, vous êtes moins connu que votre comparse. Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Ismaël Méziane : J’ai suivi des cours de dessin dans l’atelier d’Adrien Floch à Aix-en-Provence lorsque j’avais 14 ans, et les cours du soir d’Eric Cartier. Un ami commun m’a présenté à Julien Neel à qui j’ai montré mon travail. Il m’a donné son avis.

J’ai ensuite intégré l’école Saint Luc de Liège en Belgique pour un cursus de trois ans. Pendant ce temps, je suis resté en contact avec Julien qui continuait à me donner des conseils et des références. Il m’a donné pas mal de ficelles.

Julien Neel : J’ai coutume de dire que la BD est une corporation sans bureau. Il est normal d’aider les jeunes dessinateurs. Ce qui est moins commun avec Ismaël, c’est qu’entre deux échanges, il avait parfaitement intégré et mis en application les conseils que je lui avais donnés. Lorsqu’il est sorti major de sa promo de Saint Luc, je me suis franchement inquiété : il allait prendre ma place ! (rires). Plus sérieusement, nos échanges m’ont aussi enrichi. Un jeune auteur apporte un nouveau regard, des idées fraîches sur son propre travail. Il me pousse à ne pas rester sur mes acquis, à ne pas m’endormir et à repousser les limites de la narration.

- Ismaël, quelle est la part autobiographique dans votre série Nas, poids plume ?

J’ai mis beaucoup de moi dans cette série. Nas fait de la boxe, j’en ai fait aussi, son oncle prend des cours de salsa, c’est aussi mon cas. Mais attention, cela reste de la fiction !

Julien Neel ("Lou") et Ismaël Méziane ("Nas, poids plume") : "La BD est une corporation sans bureau".
(c) Ismaël Meziane

- Le troisième tome véhicule un message fort sur la mort, l’absence, que vous abordez de manière très juste et sensible.

Ma maman est décédé au milieu de la réalisation du second tome. Je me suis alors senti très seul. C’est d’ailleurs le sous-titre du tome 3, L’Enfant seul. Écrire a constitué une thérapie pour moi, un acte cathartique, comme un bouclier. J’avais besoin d’écrire de belles histoires, avec de bons sentiments qui font du bien.
À la fin du second tome, tout le monde fête l’anniversaire de la maman de Nas. En cadeau, le garçon danse la salsa avec elle. C’est bien entendu une image forte pour ma propre maman, que je voudrais faire danser éternellement.

- Quelle sera la suite ?

Incertaine malheureusement ! Les ventes ne sont pas suffisantes pour la réalisation du tome 4 même si le scénario est déjà écrit. J’ai pu vivre de mon travail d’auteur quelques temps, je suis obligé maintenant de reprendre un emploi à la ville d’Aix-en-Provence. J’espère que c’est provisoire !

En attendant, j’écris des strips. Ce sont deux bébés, deux copines, qui parlent de la vie et de leurs questionnements. Il y aura bien entendu un décalage entre les thèmes évoqués et l’image des protagonistes !

Nas, tome 3 (c) Ismaël Méziane

- Donc ce ne sera pas une série jeunesse.

Ismaël : Je n’ai pas dit cela. Je me soucie beaucoup de l’accessibilité et je crois que l’on peut aborder tous les thèmes avec les enfants. Il faut que la narration soit lisible par tous, avoir un vocabulaire adapté mais sans bêtifier. En expliquant, nous pouvons parler de tout.

Julien : Je suis tout à fait d’accord avec Ismaël. Pour revenir à Nas, outre tout le bien que je pense de cette série, elle n’a pas bénéficié d’une visibilité suffisante. La production BD est pléthorique. Un album est noyé dans la masse, il est difficile de le mettre en avant.

En jeunesse, la publication dans une revue est une bonne manière de se démarquer. Lou en a bénéficié grâce au magazine Tchô !, créé par Zep et Jean-Claude Camano en 1998. Le magazine était porté par Nob, qui menait cinquante projets à la fois : rédac’chef de Tchô !, auteur de la série Dad, coloriste d’un tas de séries... Malgré sa capacité de travail exceptionnelle, il ne pouvait pas tout gérer. Il est vrai que le magazine ne rapportait pas ou peu d’argent, mais il n’en perdait pas et il permettait aux auteurs Glénat d’avoir un beau support promotionnel.

- Julien, est-ce que ce constat pousse aujourd’hui Glénat à envisager le retour de Tchô ! ?

C’est plus qu’envisagé ! Depuis la disparition du titre en 2013, le choix de revues jeunesse a fortement diminué. Il y a donc une place à prendre. C’est un Tchô ! nouvelle formule qui va paraître en juin, sous le titre de SuperTchô !.

Nous allons tester une formule à deux titres par an, deux gros pavés, un peu comme les Picsou géant. Nous voudrions qu’il soit distribué dans les points presse, les Relais H, etc. Comme pour la première formule, l’idée est d’associer des auteurs confirmés à des débutants et d’inclure également des nouvelles, des récits complets, de l’illustration, des jeux... Donc essentiellement de la BD mais pas seulement. C’est Nicolas Forsans qui sera à la manœuvre. J’ai dessiné la couverture de ce premier numéro.

Nous y retrouverons entres autres Captaine Biceps, Titeuf, mais aussi les premières planches du tome 8 de Lou et une bonne partie du premier tome de Nas. En espérant que les lecteurs qui vont découvrir ce personnage achètent la suite, bien entendu [2].

Couverture du nouveau SuperTchô ! (c) Glénat

- Deux ans après la parution du tome 7, c’est donc le grand retour de Lou ?

Oui, le récit prend la suite... du tome 6 ! Il ne vous aura pas échappé que les tomes 6 et 7 sont chronologiquement inversés. L’ordre de lecture des tomes de Lou est donc 1, 2, 3, 4, 5, 7, 6 et 8. L’Âge de Cristal, le tome 6, voit une Lou adolescente. Elle est fragile, en plein doute. Je voulais jouer sur cette perte de repères au moment du passage vers l’âge adulte. Je voulais perdre le lecteur comme Lou est perdue. Juste avant cet état, le tome 7 revient sur un âge doré. Intitulé La Cabane, il symbolise l’union, l’harmonie.

Progressivement, le récit voit apparaître des éléments de science-fiction et de fantastique. Mais relisez les tomes précédents, vous verrez que ce n’est pas nouveau. Un personnage secondaire est quand même en couple avec une grappe de raisin !

Lola Lasseron à l’affiche du film Lou, 2014 (c) Studiocanal

Le tome 8 sera donc le dernier d’un cycle. Pendant un temps, j’ai envisagé d’arrêter là. Finalement, il y aura une saison 2, sous un autre format, peut-être roman graphique, montrant une Lou jeune adulte. J’ai aussi envie de raconter des choses qui se passent avant le tome 1.

Mais je travaille aussi sur d’autres projets, en particulier une série d’aventure avec Saïd Sassine [3] au dessin, Bonbon Super, qui sera publiée chez Glénat.

- Est-ce que la série animée a été un « boost » pour les albums ?

Incontestablement. D’ailleurs, les producteurs ont signé avec moi avant le succès éditorial de la BD. Ils ont eu le nez fin ! Toutefois, c’est une expérience mitigée d’un point de vue personnel. Les contraintes de la télévision sont énormes et la série m’a échappé. Les histoires sont restées mièvres et plan-plan. Par contre, j’ai beaucoup aimé travailler avec le cinéma qui offre beaucoup plus de libertés. Je me suis beaucoup investi dans le film Lou, sorti en 2014, où j’ai pris de vrais risques scénaristiques. C’est un film d’auteur. Je sais qu’il ne plaît pas à tout le monde mais je l’assume complètement.

Ismaël Méziane et Julien Neel (c) Jérôme Blachon

- Pour conclure, comment voyez-vous ce médium ?

Ismaël : La BD m’a aidé à me reconstruire après que ma vie ait été chamboulée par le décès de ma mère. L’écriture m’a permis une résilience de ce drame. Finalement, comme le dit très bien Montaigne : "J’écris mes livres, mais ce sont mes livres qui finissent par m’écrire".

Julien : La BD est un marché, bien entendu, qu’il faut connaître, mais c’est tellement plus que cela. Tous les auteurs sont des gens passionnés et d’énormes bosseurs. Mais ce n’est pas non plus qu’un métier, c’est aussi un réseau, des copains. Pour moi, c’est ma vie. D’ailleurs, si vous voulez écouter des auteurs de BD qui ne se prennent pas au sérieux, écoutez le Régis Prosper Show sur Radio Zinzine !

Propos recueillis par Jérôme Blachon

(par Jérôme BLACHON)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire les précédentes interviews de Julien Neel, en 2005 : "La création de Lou a été intuitive et naturelle", et en 2008 : "Lou ! est une chronique de l’adolescence"

Lire les chroniques sur Lou : tome 1, tome 2, tome 3, tome 4, tome 5 et tome 6.

Lire les chroniques sur Nas, poids plume : tome 1 et tome 3.

En vignette : Ismaël Méziane et Julien Neel. Photo : Jérôme Blachon

[1La Bédérie est une des deux librairies spécialisées BD d’Aix-en-Provence (avec La Licorne). Elle a ouvert un espace dédié aux rencontres avec les auteurs que nous avons eu le plaisir d’inaugurer avec cette interview. Pour être informé des rencontres, il est possible de s’inscrire à la newsletter de la librairie sur leur site ou sur leur page facebook. Convivialité et bonne humeur sont au rendez-vous !

[2Nous reviendrons très prochainement sur la publication de SuperTchô ! avec une interview de Nicolas Forsans.

[3Dessinateur des séries Wakfu et Shôchû on the rocks, publiées chez Ankama.

Lou ✏️ Julien Neel ✏️ Ismaël Méziane
 
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