Romans Graphiques

La Cure : une vie sous le joug des thérapies de conversion

Par Jorge Sanchez le 21 juin 2023                      Lien  
Dès son plus jeune âge, Acacio do Nascimento sentait qu'il était différent des autres enfants brésiliens. Il ne s'intéressait pas au football ni aux petites voitures. Alarmés, ses parents redoutent le pire, que leur fils soit “malade” et entament une éducation sévère régie sous les contraintes de nombreuses “thérapies” pour sauver leurs fils de devenir homosexuel… Roman-fleuve de toute une vie, "La cure" de Mario César paru aux éditions iLatina nous raconte l’histoire récente du Brésil et celle d'Acaccio, dans un roman graphique saisissant qui narre avec sincérité les nombreux affres (et victoires) de la communauté LGBTQ+ dans une société conservatrice.

Née dans une famille catholique de la classe moyenne brésilienne, la vie d’Acacio ressemble en tout genre à celle d’un citoyen exemplaire. Talentueux, il excelle dans ses études, puis parvient dès la sortie de la fac à décrocher un bon poste, il ne consomme pas de drogue, n’écoute pas de rock, va à la messe tous les dimanches, rencontre sa copine au lycée puis se marie à la fin de fac. Ils fondent une famille et tout semble aller pour le mieux… Mais derrière cette façade idéale, Acacio se démange. Si bien qu’il parvienne à remplir ses “devoirs conjugaux” en réalisant le minimum syndical, il ne peut s’empêcher de lorgner des yeux ses camarades de classe, ses collègues du bureau, et plus tard, de vivre des aventures secrètes avec d’autres hommes.

Torturé par le remord et la peur des flammes de l’enfer, il se soumet aux nombreux traitements que ses parents lui infligent, avant de prendre le relai dans sa vie adulte et chercher par lui-même “la cure” au sein des cliniques et des églises. Au long de sa vie, nous compatissons avec lui. Coups, électrochocs, confessions humiliantes et bien d’autres formes de torture lui sont infligés au fil des décennies sans que rien n’y fasse, alors qu’en dehors de sa vie le monde change. Au fil des pages, Mario César le premier auteur de BD ouvertement gay du Brésil [1], nous fait connaître les transformations de son pays et les luttes pour la reconnaissance des communautés LGBTQ+. De la dictature militaire des années (1964-1985) et sa croisade contre les vices, à l’arrivée de la démocratie, en passant par l’arrivée des sectes protestantes venues de la Bible belt des États-Unis, son héros reste un témoin silencieux de son époque.

La Cure : une vie sous le joug des thérapies de conversion
La cure. Ed iLatina

Abordant une esthétique proche du comic américain, Mario César utilise une colographie restreinte. Bleu lorsque les scènes et les actes correspondent aux normes masculines traditionnelles et rose quand il s’agit de l’univers féminin. Il devient donc prévisible de voir comment notre pauvre Acacio souffre, tout au long de sa vie, de se retrouver sous la couleur qui ne lui correspond pas…

En partant de ce principe de bipolarité exclusive et arbitraire, l’auteur nous dévoile au fil des années, les normes et les hypocrisies au cœur de l’imaginaire des “bonnes familles”. Dès son adolescence, Acacio apprendra ainsi qu’il est parfaitement acceptable de fréquenter des prostituées, d’être infidèle de temps en temps avec d’autres femmes lors des premières années du mariage, qu’il doit être le soutien économique du foyer, mais surtout que Dieu tout-puissant surveille sur tous ses actes avec une dureté implacable.

La cure. Ed iLatina

On le sait tous, la longue et tortueuse lutte de la communauté LGBTQ+ pour être reconnue, puis acceptée, fut en partie un long chemin de larmes. Même si les violences et les discriminations sont encore un fléau majeur, les jours où Alan Turing fut condamné à la castration chimique pour son homosexualité nous semblent bien loin dans le temps et dans l’espace. Et pourtant, les thérapies de conversion (sous des accents religieux ou pseudo-scientifiques) sont toujours appliquées partout dans la planète.

Déjà en 2012, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait émis une déclaration mettant en évidence les dangers que représentent les "thérapies de conversion" pour la santé et les droits des personnes concernées. Et si bien la pratique a depuis été vivement condamnée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2015, qui l’a assimilée à de la torture dans un rapport publié en mai 2020, dans ce même rapport, il révèle également que lesdites “thérapies” sont présentes dans au moins 68 pays à travers le monde.

La cure. Ed iLatina

Si bien qu’en France, elles ont été interdites depuis janvier 2022, en partie grâce à l’activité incessante des militants et des enquêtes menées de journalistes comme Timothée de Rauglaudre, en Amérique Latine elles ont repris un nouvel élan depuis l’arrivée du conservatisme évangélique et des croisades prétendant exorciser « le wokisme des écoles ».

La cure. Ed iLatina

En fermant les pages de l’album, on revient très vite sur le sens du titre, La cure, mais de quoi ? D’une maladie qui n’existe pas ? De la condition humaine ? Ou plutôt, s’agit-il d’une cure contre une façon de penser, une morale rétrograde qui écrase et tue des humains, rien que pour assurer sa prépondérance ?

L’album de Mario César n’est certainement pas une lecture pour cœurs faibles, puisque les nombreuses scènes de violence (physique, psychologique, verbale, symbolique, etc.) au-delà de rehausser le dramatisme, jouent un véritable rôle (décuplé par les nombreuses scènes de débats) dans la création d’une véritable expérience de catharsis.

(par Jorge Sanchez)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782491042295

La Cure - Par Mario César. Éditions iLatina. 296 pages - 30€.

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[1Qui a remporté avec cet album trois fois le Trophée HQ Mix (meilleure BD Web en 2019 et 2020 et pour la meilleure publication en mini-série en 2022), a été deux fois finaliste du Prix Jabuti dans la catégorie BD (parmi les 5 finalistes en 2019 et parmi les 10 finalistes en 2020) et finaliste du Prix Literary Mix.

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