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Luigi Critone : "S’approprier un univers créé par quelqu’un d’autre est l’une des choses les plus difficiles à faire"

Par Christian MISSIA DIO le 13 janvier 2021                      Lien  
La reprise d'une série à succès n'est jamais un exercice évident, surtout quand on succède à un immense dessinateur tel qu'Enrico Marini. C'est pourtant le défi qu'a relevé Luigi Critone, l'auteur d'"Aldobrando", "Je, François Villon" et des "Sept Missionnaires". Dans cet entretien, le dessinateur italien nous parle des défis liés à sa reprise du "Scorpion", et des doutes qu'il doit surmonter pour satisfaire les exigences des fans de cette série de cape et d'épée.
Luigi Critone : "S'approprier un univers créé par quelqu'un d'autre est l'une des choses les plus difficiles à faire"
Le Scorpion T. 13 : Tamose l’Égyptien
Luigi Critone & Stephen Desberg © Dargaud

Luigi Critone, comment s’est faite la rencontre avec Enrico Marini et Stephen Desberg pour votre reprise du dessin de la série Le Scorpion ?

Luigi Critone : Le premier à m’appeler c’était Enrico Marini. À l’époque, il m’avait proposé de reprendre sa série Rapaces pour un second cycle, mais j’avais décliné la proposition car je travaillais sur Je, François Villon. Il m’a rappelé quelques années plus tard pour me parler de la situation du Scorpion. Il m’a dit que la série devait initialement se terminer mais que Dargaud souhaitait la poursuivre sous la forme de diptyques. J’avoue avoir été assez surpris car Le Scorpion faisait partie de mes lectures favorites depuis des années. J’ai pris le temps d’y réfléchir, j’en ai aussi discuté avec Stephen Desberg et Yves Schlirf, le directeur éditorial de Dargaud Benelux. Nous avons mis les choses au point. Ils m’ont expliqué qu’ils ne souhaitaient pas que j’imite le dessin de Marini car la série allait évoluer dans une nouvelle direction avec une nouvelle interprétation du personnage et de nouvelles aventures. J’ai finalement accepté la proposition car je me suis dit que c’était un défi intéressant par rapport à ce que j’avais pu faire par le passé et le timing était bon puisque je venais de terminer Aldobrando, je n’avais pas d’autres engagements.

Avez-vous eu des contraintes concernant le respect de l’univers graphique créé par Marini ?

Il y a eu des difficultés, c’est sur, mais beaucoup moins que je ne le pensais. Déjà parce que la série propose des décors variés ou les personnages sont constamment en mouvement, ce qui me permet de proposer des ambiances différentes. La difficulté résidait surtout dans le graphisme des personnages principaux : le Scorpion et Méjaï. Il fallait qu’ils soient reconnaissables au premier coup d’œil tout en leur apportant une touche plus personnelle. Cela a été possible au niveau des caractères grâce au ellipses. On retrouve ces personnages quelques années après leurs dernières apparitions, leurs personnalités ont évoluées. Le Scorpion est plus mûr et il a des attentes différentes, ce qui instaure un autre rythme dans la série qui devient plus contemplative. Cette évolution me correspond bien.

Ce T.13 du Scorpion propose peu d’action comparé aux épisodes précédents. Pourtant, c’est une série spectaculaire qui est marquée par la flamboyance du style de Marini. Vous sentez-vous à l’aise sur ce terrain-là aussi ?

Je pense qu’il y aura des différences dans la série à partir de cet album et je m’attends à recevoir des critiques de la part de certains lecteurs. Un changement de dessinateur sur une BD populaire est toujours un risque car les lecteurs peuvent rejeter la nouveauté. Moi, je ne suis pas là pour remplacer Enrico. Je n’en serais d’ailleurs pas capable, j’en suis conscient. Je suis là pour prendre la relève et diriger la série dans une autre direction, laquelle était déjà présente d’ailleurs. On s’en rend compte lorsque l’on relit l’intégralité de la série. Du premier album au douzième album, il y a une maturation du personnage qui me paraît évidente. La flamboyance de la série était surtout présente dans les premiers tomes, tandis que si vous prenez les derniers épisodes, la série devient plus sombre et introspective.

Je rappelle aussi que cette histoire est un récit en deux tomes. Dans le T.13, nous installons l’intrigue, nous introduisons de nouveaux personnages et il y a de nouveaux enjeux, ce qui explique qu’il y est moins d’action comparé aux albums précédents. Mais rassurez-vous dans le T.14, le récit sera beaucoup plus enlevé. D’ailleurs, j’ai même pensé à en faire un one-shot mais Dargaud m’a expliqué que Le Scorpion n’est pas la bonne série pour proposer des one-shots.

Aldobrando
Luigi Critone & Gipi © Casterman

Vous avez signé pour combien d’albums ?

J’ai signé pour deux albums et après nous ferons le point mais tout est ouvert, je pourrais très bien continuer à dessiner Le Scorpion. Mais ce sera toujours des diptyques que je pourrais alterner avec d’autres projets à côté. Tout dépendra du succès de ma reprise et de mes envies artistiques.

Je vous ai découvert avec le titre Sept Missionnaires, un one-shot qui avait reçu un bel accueil critique à l’époque. Dans cet album, vous vous étiez distingué par votre dessin réaliste et classique, mais qui dans le même temps démontrait une grande aisance avec l’humour. La série Le Scorpion avait aussi de l’humour au début. Aimeriez-vous réintroduire cette tonalité-là dans vos prochains albums du bretteur ?

C’est vrai que ce serait pas mal. Mais une série telle que Le Scorpion représente un défi car il y a beaucoup d’enjeux. J’étais un peu timide au moment où je me suis attaqué à la réalisation de cet album car j’ai eu la liberté de dessiner mais c’était une liberté surveillée. Comme je le disais tout à l’heure, je ne dois pas imiter Enrico mais mon dessin doit tout de même conserver une cohérence avec l’univers qui a été construit pendant 20 ans. Et je l’avoue, j’ai encore besoin d’un peu de temps. S’approprier un univers qui a été créé par quelqu’un d’autre est l’une des choses les plus difficiles à faire lorsque l’on est dessinateur. Même pour les Sept Missionnaires, j’ai mis du temps à trouver la bonne tonalité entre le ton du récit écrit par Alain Ayroles et ma sensibilité personnelle.

Vous avez marqué le début de l’année dernière avec Aldobrando, un album salué par la critique et qui concourt aujourd’hui pour plusieurs prix dont la sélection officielle du 48ème FIBD.

Effectivement, nous avons reçu deux nominations pour Angoulême et une nomination pour le Grand Prix de la Critique ACBD 2021. C’est évident qu’Aldobrando est un livre qui a beaucoup plu et j’en suis très content, surtout que je l’ai réalisé avec Gipi, qui est un immense auteur et un ami. Cet album a été un gros projet artistique car je lui ai consacré 3 ans de travail.

Le livre est-il finalement sorti en Italie ?

Oui, il est sorti début novembre. Nous avons reçu les premiers retours qui sont très positifs.

Avez-vous d’autres projets avec Gipi ?

Il n’y a rien d’arrêté mais oui, j’aimerais beaucoup retravailler avec lui je ne le cache pas. On nous a fait une proposition pour faire une suite à Aldobrando mais pour l’instant, cela reste très vague. On verra bien.

En marge du Scorpion, avez-vous d’autres projets BD à moyen terme ?

J’ai un projet potentiel pour après le T.14 du Scorpion mais je n’en parle pas trop pour le moment car ça reste vague et c’est un projet très personnel. Le prochain Scoprion paraîtra en novembre 2021 puis j’alternerai avec un autre projet BD, avant de revenir au Scorpion par la suite. Stephen et moi aimerions revenir à un rythme de parution d’albums plus rapprochés car c’est le principe même d’une série à suivre.

Aldobrando (Édition luxe)
Luigi Critone & Gipi © Casterman

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(par Christian MISSIA DIO)

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Code EAN : 9782505083313

En médaillon : Luigi Critone
Photo © Claude Truong-Ngoc/DR

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Le Scorpion T.13 - Tamose l’Égyptien - Par Luigi Critone & Stephen Desberg - Dargaud. Album paru le 20 novembre 2020. 48 pages, 13,00 euros.

Aldobrando - Par Luigi Critone & Gipi - Casterman. Album paru le 15 janvier 2020. 200 pages, 23,00 euros.

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