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Ralph Meyer : « Premier commandement de Washington et de Jefferson aux clampins de ce pays : occupe-toi de tes fesses ! » [INTERVIEW]

Par Christian MISSIA DIO le 10 février 2024                      Lien  
Ralph Meyer et Caroline Delabie nous livrent un aperçu de leur collaboration sur le nouveau diptyque d'Undertaker, paru fin d'année 2023. À travers des échanges animés, ils explorent les thèmes, les défis et les intrigues de leur œuvre, nous offrant ainsi un regard privilégié sur le processus créatif derrière cette série emblématique de la bande dessinée des dix dernières années.

Comment est née cette nouvelle histoire de l’Undertaker ?

Ralph Meyer : À chaque fois qu’on termine un diptyque, on fait un débrief à trois avec Caroline Delabie et Xavier Dorison et on parle de ce qu’on a envie de faire pour la suite, des envies de chacun. Et souvent à partir de cette discussion là, Xavier en dégage une thématique qu’il va développer dans un scénario pour le diptyque suivant. Là en l’occurrence, la première envie que nous avions tous c’était le retour de Rose Prairie qui était un personnage important dans les deux premiers diptyques, mais qui n’était plus là dans le troisième. C’était le point de départ. Et puis après, la question de la condition féminine à l’époque d’Undertaker est assez vite venue. De fil en aiguille, nous sommes arrivés à ce diptyque-ci.

La thématique de l’avortement a-t-elle été inspirée par la fin du précédent diptyque où la maternité était un élément central, ou était-ce une direction complètement distincte ?

Caroline Delabie : Je crois que plus que l’avortement et le droit des femmes en général, la thématique qu’on voulait aborder serait de manière générale le droit pour chacun de disposer de son corps librement à partir du moment où on ne nuit pas à d’autres personnes en le faisant. Parce qu’effectivement, on aborde la question de l’avortement, des droits des femmes mais aussi du droit des personnes homosexuelles. Ce sont des sujets qui sont très rarement abordées dans le western, en BD ça n’avait clairement jamais été fait.

Le hasard a voulu en plus qu’au moment où on a commencé à travailler sur le diptyque, on a été rattrapés par Donald Trump, par la nomination des nouveaux juges à la Cour suprême des Etats-Unis, avec le détricotage de l’arrêt Roe versus Wade qui garantissait le droit à l’avortement sur l’ensemble du pays. C’était particulier.

Ralph Meyer : Oui, parce que le scénario que nous avions écrit était terminé avant que l’on apprenne ce qui s’est passé au Texas avec le retour de l’interdiction de l’avortement. Ce sont des idées dans l’air du temps. Xavier est quelqu’un de très sensible à ce qui se passe dans le monde.

Ralph Meyer : « Premier commandement de Washington et de Jefferson aux clampins de ce pays : occupe-toi de tes fesses ! » [INTERVIEW]
Caroline Delabie, Ralph Meyer et Xavier Dorison
Photos Delabie & Dorison © Rita Scaglia
Photo Meyer © Dargaud / Cécile Gabriel 2022

Pourquoi avez-vous choisi de complexifier la relation entre l’Undertaker et Rose Prairie, et quelles sont vos intentions pour leur histoire ? Rose Prairie ne fait-elle qu’une seule apparition dans ce second diptyque, ou pourrait-elle revenir par la suite ?

Ralph Meyer : Évidemment que Rose Prairie est un personnage auquel on est très attaché, on l’utilisera encore par la suite...

Caroline Delabie : En tout cas on ne se ferme aucune porte, ça c’est certain. Si on veut que Rose soit présente, elle sera présente, c’est tout à fait possible. Et concernant leur histoire à eux deux, oui, on va complexifier leur histoire parce que ça fait partie - si Xavier était là, il vous le dirait tout simplement - de la nécessité de la dramaturgie quand on écrit un scénario.

Il vous dirait qu’évidemment Rose et Jonas ne termineront jamais mariés avec quatre enfants et en se tapant sur l’épaule tous les soirs, en se disant : « qu’est-ce qu’on est bien au coin du feu et qu’est-ce qu’on est heureux ». Si on veut que l’histoire existe et ait un intérêt, il faut que les personnages traversent des difficultés, qu’on s’identifie à eux à travers justement les épreuves qu’ils traversent, que l’on ait envie qu’ils arrivent à les surmonter. Cela implique qu’évidemment, les choses doivent être complexes.

Undertaker T. 7 : Mister Prairie
Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie © Dargaud

Comment expliquez-vous la position de Jonas Strickland par rapport à la question de l’avortement ? Bien qu’il semble mal à l’aise avec l’idée, il va tout de même accepter d’aider le couple Prairie.

Ralph Meyer : C’est très clair. C’est d’ailleurs l’exergue de la première page :« Premier commandement de Washington et Jefferson aux clampins de ce pays : occupe-toi de tes fesses ! ». Ça c’est vraiment la position très claire de Jonas par rapport à cette question, qui me paraît pleine de bon sens. Après, par rapport à Rose et à son mari, c’est plus compliqué, c’est une véritable déception amoureuse pour lui. Donc voilà, on va voir par la suite comment ça va évoluer.

Vous avez mis combien de temps à travailler sur cet album, le dessin d’une part, les couleurs ensuite ?

Ralph Meyer : En règle générale, c’est entre un an et un an et demi pour le travail du noir et blanc et du storyboard.

Caroline Delabie : Et moi je mets minimum quatre mois, souvent un peu plus, parce que je ne suis pas une coloriste très rapide en fait. J’aime bien prendre le temps. J’ai ce goût-là parce que la série fonctionne bien et parce que je fais d’autres choses aussi sur le côté. Mais il faut minimum quatre mois.

Undertaker T. 7 : Mister Prairie
Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie © Dargaud

Caroline Delabie, comment est née votre collaboration avec Ralph Meyer pour les couleurs dans le deuxième tome de IAN ? Avez-vous déjà travaillé ensemble dans l’ombre avant cela, comment cela s’est-il passé ?

Caroline Delabie : Alors d’abord, c’est vrai que le dessin de Ralph a changé entre le tome 1 et le tome 2 de IAN. Mais pour le coup, moi j’y suis vraiment pour rien. Ça a été un choix graphique de sa part, de travailler avec la technique des lavis pour les ombres. Au niveau des couleurs aussi, c’est vrai qu’il y a eu un gros changement entre le tome 1 et le tome 2 qui est dû à deux choses. Il y a deux éléments principaux. Le premier, c’est que les contraintes que mettait Dargaud au niveau des couleurs numériques avaient changé. C’est-à-dire que pour le T.1, par exemple, on n’avait pas le droit de mettre du noir dans les couleurs. Donc ça donnait des couleurs finalement qui pouvaient paraître de manière générale peut-être un peu plus fades. Et à partir du T.2, on a pu mettre du noir dans la couleur. Donc ça a tout changé. Effectivement, je n’ai pas travaillé sur les couleurs du tome 1. J’ai commencé sur le 2. Et de manière un peu fortuite, Ralph avait demandé à plusieurs coloristes de faire des essais mais il n’était pas satisfait. Je lui ai proposé d’essayer parce que j’étais curieuse d’essayer. J’avais une formation autour de la couleur assez solide parce que j’ai fait les Beaux-Arts aussi. Et ça m’a plu, même si je m’y étais prise vraiment à l’envers en commençant par des détails et des trucs comme ça. Mais Ralph était content du résultat final. Évidemment, j’avais d’autres de ses albums comme référence.

Ralph Meyer : C’est vraiment un travail de collaboration. Comme toujours. En tout cas, moi quand je fais mes pages, je les visualise en couleurs. Je donne des indications, pas pour toutes les pages évidemment. Mais quand je vois exactemnt ce que je veux, je donne des indications. Sur d’autres, elle est totalement libre de ses gammes. Je termine par une dernière retouche sur le travail de lumière. C’est une collaboration qui dure depuis des années...

Caroline Delabie : (Elle coupe RM en souriant) Cela fait plus de 20 ans...

Ralph Meyer : (il chuchote son étonnement) Plus de 20 ans ?!

Caroline Delabie : (elle sourit toujours) Ben oui...

Undertaker T. 7 : Mister Prairie
Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie © Dargaud

Caroline Delabie êtes-vous également impliquée dans le travail créatif dès les discussions sur le scénario, y compris les thèmes que vous souhaitez aborder au niveau de la mise en couleurs ?

Caroline Delabie : Oui, oui. On fait tous les débriefings à trois. Quand Xavier fait la lecture du synopsis, je suis là aussi, pareil pour le scénario. C’est vraiment un travail à trois têtes, on va dire. Et ça, pour toutes les étapes, finalement, Ralph envoie toujours ses réalisations pour la narration, le découpage à Xavier, qui intervient au besoin. Pareil pour les couleurs, j’envoie à Xavier des fichiers pour qu’il puisse jeter un oeil. Et alors, il intervient parfois en disant, là, il faudrait que ce soit... Par exemple, dans le cas d’un incendie ou d’une bagarre, il peut dire : « je voudrais que ce soit plus violent ». Ou au contraire, il peut demander d’adoucir certaines scènes avec une ambiance particulière.

Ralph Meyer : C’est très ponctuel. Dans l’ensemble, il est satisfait du travail qu’on lui envoie. C’est toujours sur des points de détail qu’il intervient.

Undertaker T. 7 : Mister Prairie
Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie © Dargaud

Votre trio fonctionne depuis XIII Mystery. Envisagez-vous encore d’autres collaborations similaires, comme celle avec Page Noire ? Caroline, êtes-vous également impliquée dans d’autres projets en parallèle de votre travail avec Dorison et Meyer ?

Ralph Meyer : Alors pour ma part, cela va faire bientôt dix ans que je travaille exclusivement sur Undertaker, à part un bouquin qui était plutôt un roman illustré avec Eddie Mitchell qui est paru fin 2022. Bien sûr il y a d’autres envies que j’espère pouvoir concrétiser dans un avenir proche, même si évidemment le tome 8 est ma priorité vu qu’on est en plein milieu d’un diptyque. J’ai envie d’un retour vers le polar, comme dans Page Noire ou Berceuse assassine.

Caroline Delabie : Moi de mon côté je ne me ferme aucune porte. Je reçois régulièrement des propositions, que je décline faute de temps ou simplement parce que le budget proposé ne me convient pas. Je suis une coloriste un peu lente et le tarif est à la page.

Mais bon au final le ou la coloriste est le dernier intervenant sur le bouquin et souvent avec des délais vraiment très serrés parce qu’on a quand même toujours une date butoir à partir du moment où la date d’office du livre est prévue. Donc c’est souvent un travail pour lequel on est mis sous pression.

Undertaker T. 7 : Mister Prairie
Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie © Dargaud

Est-ce que vous avez prévu une fin à la série Undertaker ou bien ça continuera tant que vous aurez des idées, l’envie d’animer ce personnage et son univers ?

Ralph Meyer : Dès le départ, Undertaker était prévu comme une série au long cours. Donc l’envie évidemment de poursuivre tant qu’il y a du plaisir, du plaisir, et du plaisir. Il y en a beaucoup pour l’instant.

Il y a quelques semaines, pendant la promotion, on a travaillé dans le train avec Xavier et on a commencé à ébaucher les grandes lignes du diptyque suivant, donc les tomes 9 et 10. On est déjà un petit peu excités. Donc au niveau de l’envie, il n’y a pas de souci et au niveau des idées, on a encore du stock.

Est-ce qu’on peut savoir de quoi parlera le prochain cycle ?

Ralph Meyer : Ah bah non ! Désolé, c’est un peu trop tôt. (Rire général)

Undertaker T. 7 : Mister Prairie
Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie © Dargaud

Voir en ligne : Découvrez la série "Undertaker" sur le site des éditions Dargaud

(par Christian MISSIA DIO)

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Code EAN : 9782505119753

Undertaker T. 7 : Mister Prairie - Par Xavier Dorison, Ralph Meyer & Caroline Delabie - Dargaud. Sortie le 11 novembre 2023. 24 x 32 cm. 64 pages couleur. 16,95 €.

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En médaillon : Photo Galerie Daniel Maghen.

Dargaud ✍ Xavier Dorison ✏️ Ralph Meyer 🎨 Caroline Delabie Western Belgique
 
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