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Turk : "Travailler avec Zidrou m’a fait sortir de ma zone de confort"

Par Christian MISSIA DIO le 12 août 2019                      Lien  
La sortie du cinquantième album de "Léonard" l'année de la commémoration des 500 ans de la disparition de Léonard de Vinci est l'occasion de proposer de nombreux événements autour du personnage créé par Turk et Bob de Groot. C'est au cours de l'un d'entre eux que nous avions rencontré Turk, qui retrace pour nous les grands moments de sa carrière.
Turk : "Travailler avec Zidrou m'a fait sortir de ma zone de confort"
Léonard T.50 : Génie, Vidi, Vinci !
Par Turk & Zidrou, d’après la série créée par Turk & de Groot © Le Lombard

Cette année, vous avez publié le cinquantième album de Léonard. Vous l’avez baptisé “Génie, Vidi Vinci !”

Turk : Oui, c’est un titre qui s’imposait à nous depuis longtemps et nous nous sommes dit qu’il serait parfait pour ce cinquantième album, dont la sortie coïncide avec les 500 ans de l’anniversaire de la mort de Léonard de Vinci.

Quel est le pitch de ce nouvel album ?

Il n’est pas bien différent des autres. Toutefois, nous avons ajouté à la fin de l’album un dossier didactique pour ceux qui voudrait en apprendre plus sur le véritable Léonard. Ils connaîtraient ainsi la base qui nous a servi pour créer notre série.

Zidrou a repris le scénario suite au départ de Bob de Groot. Quel bilan faites-vous de son apport dans cette série ?

Techniquement, il y a eu une différence. Bob De Groot avait l’habitude de me faire des croquis de ses scénarii. Ainsi, j’avais déjà une première idée de mise en page. Tandis que Zidrou travaille de manière plus classique. Il écrit un scénario et rédige les dialogues et c’est à moi ensuite de proposer la mise en page et la mise en scène. C’est donc plus de travail pour moi et je dois reconnaître qu’au départ, j’étais un peu dérouté. Mais j’ai réussi à surmonter ce “handicap” avec le temps. Par contre, j’apprécie que Zidrou écrive beaucoup plus que Bob. C’est plus dru, plus concentré. C’est un peu plus compliqué de dessiner ses idées mais c’est passionnant. Cela stimule plus mon imagination, ce qui est une bonne chose pour la qualité de mon travail.

Bob de Groot
Photo © Christian Missia Dio

Comment s’est fait le choix de Zidrou pour la reprise scénaristique de la série Léonard ? Était-ce votre souhait à de Groot et vous-même ?

Non, c’était le choix de l’éditeur. Le Lombard avait posé deux noms de scénaristes sur la table, Zidrou et un autre auteur dont je ne me souviens plus du nom. Celui-ci s’est désisté, laissant Zidrou comme seule alternative pour remplacer Bob.

C’est votre mère qui vous a mis le pied à l’étrier en envoyant, à votre insu, vos dessins aux éditions Dupuis, si je ne me trompe pas...

Oui et j’étais même furieux après elle car j’estimais que mes dessins n’étaient pas assez aboutis. Elle a provoqué la rencontre et finalement, elle a eu raison. Le rédacteur en chef du Journal de Spirou de l’époque, Yvan Delporte, a répondu personnellement à ma mère. Il l’a invité à contacter Maurice Rosy, qui était directeur artistique de Spirou à l’époque. Celui-ci m’a donné quelques conseils, avant de m’inviter à passer un ou deux jours au studio de dessin afin que je puisse observer de plus près le travail des dessinateurs. J’ai profité de cette aubaine pour m’incruster. Je me suis rendu indispensable en apportant le café, en faisant des courses ou des photocopies, etc.

C’était un peu le seul moyen d’apprendre le métier d’auteur de BD, je suppose ? À l’époque, très peu d’écoles d’art enseignaient la BD.

Oui. Ou alors, il fallait aller voir Peyo ou Franquin afin de se faire engager dans leurs studios de BD. Ainsi, on les aidait dans la réalisation de leurs bandes dessinées, tout en recevant des conseils. Ce fut le cas pour François Walthéry, Marc Wasterlain et tant d’autres.

Quelques photos de l’expo "Turk" chez Huberty & Breyne à Bruxelles
Photo © Christian Missia Dio

C’est comme cela que vous avez rencontré Bob de Groot ?

Oui, nous nous sommes rencontré dans le studio Dupuis. Il était passé avant moi et revenait souvent dire bonjour aux copains. Nous nous sommes aperçus que nous avions beaucoup d’affinités au niveau de la BD, une affinité profonde qui a fait que nous nous sommes bien marrés pendant cinquante ans de collaboration.

Vous avez été des collaborateurs de Greg, aussi...

Greg croyait beaucoup en notre talent, raison pour laquelle il nous confiait régulièrement des rubriques dans Le Journal de Tintin : des publicités, des cadeaux du mois, des petits travaux qui nous faisaient rire et nous apprenaient le métier.

Quelle était votre intention de départ en entrant dans le milieu de la BD ? Vouliez-vous révolutionner le genre ou tout simplement vivre de votre passion ?

Au départ, je me voyais comme un dessinateur dans la lignée des Franquin et Tillieux. Je me voyais plutôt faire de la BD policière du genre Gil Jourdan. À l’époque dans Spirou, il y avait une rubrique qui servait de tremplin pour les jeunes auteurs : le mini-récit. Avec Bob, nous nous sommes lancé à fond dans cette rubrique en proposant plein de mini-récits. Cela nous permettait aussi de gagner notre croûte. La première histoire que nous avons proposé s’appelait Archimède. Cette rubrique imposait un dessin très minimaliste, dont j’ai eu du mal à me sortir par la suite. Ce fut le cas lorsque nous avons débuté la série Robin Dubois. Les scénarios étaient plus complexes, il y avait plus de personnages et de décors. C’est pour cela que pour les premières histoires de Robin Dubois, il n’y a pas vraiment de style. Nous sommes entre deux eaux.

Les facéties de Zidrou
Photo © Christian Missia Dio

Au lieu des enquêtes policières, vous avez finalement fait votre trou dans l’humour.

Oui car nous aimons beaucoup rigoler Bob et moi et puis, nous étions admirateurs des dessins animés US, les Tex Avery, Hanna Barbera. Et nous voulions retranscrire cet esprit là dans nos BD. C’est pour cela que j’attache beaucoup d’importance au dynamisme dans mon travail. Mes personnages bougent beaucoup, il faut que ça explose, que le personnage qui s’est fait écrabouiller dans la séquence précédente revienne complètement guéri dans la case d’après. Ce sont des choses qui déroutaient un peu les lecteurs au début mais ils se sont vite habitués à mon style. Et c’est même ce qu’ils attendent : voir le disciple se faire péter la gueule (rires) !

Mais, sortir du registre comique, c’est une opportunité qui ne s’est jamais présentée dans votre carrière ?

(L’air pensif) ...Et bien, j’ai quand même fait douze albums de Clifton. Cette série à quand-même un ton plus sérieux que celui de Robin Dubois ou de Léonard. C’est vrai que Clifton reste malgré tout dans l’humour mais d’un autre côté, je pense que je m’ennuierais beaucoup si je devais faire une BD réaliste.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur Clifton ?

Encore une fois, c’est Greg le responsable. Raymond Macherot avait créé puis abandonné le personnage de Clifton. Il a alors vendu les droits au Lombard, qui a confié l’animation de la série à Jo-El Azara, qui a fait un truc sans concessions. Il a fait du Azara ! Ça n’a pas marché et Greg nous a confié le bébé en nous demandant de revenir à l’esprit d’origine de la série, chose qui nous convenait bien. Bob et moi avons réalisé ensemble neuf albums de Clifton.

Clifton
Photo © Christian Missia Dio

Pourquoi avez-vous arrêté Clifton ?

Et bien, Léonard et -dans une moindre mesure- Robin Dubois marchaient bien. Faire Clifton en plus devenait compliqué, surtout que pour cette série, il y a un gros travail de documentation à fournir. Il faut respecter les décors du Royaume Uni et le style britannique.

Le fait que Clifton n’est pas votre création a-t-il joué dans votre décision d’abandonner cette série ?

Non car lorsque Zidrou est arrivé, il m’a d’abord demandé ce que j’aimerais faire. Je lui ai répondu que j’avais envie de refaire un Clifton. Nous en avons fait deux ensemble et nous avons un troisième album en projet.

Comment les lecteurs ont-ils accueilli votre retour sur cette série ?

Ils ont bien accueilli mon retour mais je dois aussi dire que ce n’étaient pas des nouveaux lecteurs, plutôt des fans de la première heure.

Robin Dubois
Turk & de Groot © Le Lombard

Comment avez-vous créé Robin Dubois ?

Bob et moi étions fans du film Robin des Bois avec Errol Flynn. Le scénario de ce film nous faisait beaucoup rire car il y avait un côté très théâtral. Bob et moi cherchions une bonne idée et nous avons donc proposé une histoire de quatre pages à Greg, qui nous a pris l’histoire. Puis, il a recommandé une autre histoire de quatre pages et c’est ainsi que la série a démarré. Nous, nous savions pas où nous allions, nous cherchions juste une bonne idée qui nous permettrait de bouffer.

Où en est la série aujourd’hui ?

Robin Dubois est au point mort. La série marchait super bien du temps du Journal de Tintin, il est même resté huit années d’affilée premier dans le référendum du journal ! Mais avec l’arrêt du journal, les ventes se sont mises à dégringoler. Robin Dubois marchait surtout en Belgique, moins en France où les tirages étaient confidentiels. Léonard, par contre, à très bien marché dès le début sur le marché français, grâce aux prépublications dans Pif Gadget.

Vous avez plusieurs fois changé d’éditeurs pour vos séries, passant de Dargaud à l’éditeur suisse Appro, pour ensuite terminer au Lombard. Pourquoi ces changements successifs ?

C’était juste une histoire de sous. À l’époque, Dargaud avait été racheté par un groupe avec qui nous n’avions pas beaucoup d’affinités... Nous sommes donc partis chez Appro et cela s’est très bien passé pour nous. Puis un jour, il y a eu des rumeurs de rachat d’Appro. Nous sommes alors revenus au Lombard avec tous nos albums car nous pensions que c’était mieux de tous les avoir chez le même éditeur.

Léonard martyrise son disciple
Photo © Christian Missia Dio

Comment est né Léonard ?

Léonard est né dans la série Robin Dubois, en tant que personnage secondaire. À l’époque où nous étions chez Tintin, Greg cherchait de nouveaux personnages pour le journal. Il a repéré ce personnage dans un gag de Robin Dubois. Nous voulions déjà l’appelé “Léonard” dans cette série mais avons finalement opté pour “Mathusalem”, afin de garder le nom de “Léonard” pour la série.

Comment se sent on lorsque l’on anime les mêmes personnages depuis plus de 40 ans ?

Et bien, c’est comme dans les relations humaines. Quand on connait bien ses personnages, on connait leurs limites, on sait ce qu’il faut dire et ne pas dire ou faire. Ce que j’essaie surtout c’est de rendre mes personnages attachants et pour cela, il faut qu’ils aient du caractère. Zidrou a très bien compris la mécanique de mes séries car il me fait des scénarios sur mesure.

Clifton T.23 : Just married
Par Turk & Zidrou, d’après la série créée par Raymond Macherot © Le Lombard

Comment avez-vous accueilli le départ de Bob de Groot ?

En fait, rien ne dépendait de moi. C’était une décision de l’éditeur. Bob a vendu sa part des droits au Lombard et ceux-ci ont confié la destinée scénaristique des séries à Zidrou. Si demain, Le Lombard décide que ce ne sera plus Zidrou mais untel, je ne pourrai que dire “oui”.

Mais comment avez-vous vécu ce moment ?

J’étais un peu étonné de la brutalité avec laquelle cela s’est passé... Moi, je voulais simplement que mes personnages continuent d’exister.

Quelle est votre vision de l’évolution de la BD ?

C’est bien plus difficile maintenant à cause de la concurrence des autres médias tels que internet et les jeux vidéos. Il y a beaucoup d’auteurs, les éditeurs publient beaucoup trop de choses à mon goût, ce qui fait que je n’aimerais pas débuter ce métier aujourd’hui. Peu importe le talent que l’on peut avoir, c’est beaucoup plus difficile de faire son trou aujourd’hui qu’à l’époque de mes débuts. Il y avait des magazines de BD qui avaient de gros tirages. C’était donc beaucoup plus facile de se faire connaître.

Archimède
Turk & de Groot © Dupuis

Quel bilan faites-vous de votre carrière ?

C’est un peu trivial mais on pourrait considérer la réussite à travers le nombre d’albums que l’on a vendu. Ou remplir en tant que chanteur, un stade de foot plein de fans en délire. Nous, nous n’avons que les tirages pour témoigner de notre succès et c’est déjà pas mal.

Au niveau des regrets, je regrette d’avoir abandonné Clifton au milieu des années 1980. Je pense que j’aurais dû laisser Robin Dubois, qui est dans le même style que Léonard, au profit de Clifton. Passer de Léonard à Robin Dubois me donnait toujours l’impression de faire la même chose. Tandis que faire du Clifton, c’est différent et plus stimulant, notamment parce que j’aime bien dessiner des vieilles voitures et les sixties. Et puis, je suis très attaché au personnage.

Quels sont vos prochains projets ?

Le T.51 de Léonard est déjà bouclé et là, je travaille sur le n°52.

De Leonardo da Vinci à Léonard
Affiche de l’expo "Léonard" qui se tient tout l’été à la Maison de la BD de Blois.
Turk & de Groot © Le Lombard

Voir en ligne : Découvrez les albums de Turk sur le site des éditions du Lombard

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782803673025

En médaillon : Turk
Logo : Turk et son épouse, lors du vernissage de l’expo "Turk" chez Huberty Breyne à Bruxelles.
Photos © Christian Missia Dio

Agenda :

À l’occasion du 500 ème anniversaire du décès de Léonard de Vinci, les éditions du Lombard et la Maison de la BD, organisatrice du festival BD Boum, vous propose une exposition rétrospective consacrée à la série créé par Turk & De Groot, Léonard.

Expo “Léonard”
Depuis le 8 juin, jusqu’au 31 août 2019
Maison de la BD de Blois
3, rue des Jacobins
BP 70239 - 41006 Blois Cedex
TEL : 02 54 42 49 22
Entrée gratuite

À lire sur ActuaBD.com :

Léonard T.50, par Turk & Zidrou, éditions du Lombard. Albums parus le 26 avril 2019. 56 pages, 10,95 euros.

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Léonard est un génie Le Lombard ✍ Zidrou ✏️ Turk
 
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