Si la génération actuelle associe directement le mot de scénariste à celui de François Corteggiani, il ne faudrait pas oublier qu’il a commencé sa carrière comme dessinateur. C’est d’ailleurs sous la forme d’un storyboard assez poussé qu’il livrait ses histoires. Comme l’indique aujourd’hui Thierry Capezzone : « Tout était déjà fait, y avait plus qu’à recopier. »
Monté à Paris en 1972, ce Niçois d’origine fait d’abord ses armes dans la publicité et dans l’illustration. Réalisées entre 1974 et 1976, ses premières bandes dessinées seront pour les éditions SEPP, une société lyonnaise qui publiait surtout de petits formats : Pastis et Patchouli dans SuperRex, Rex Badaboum dans Rex, Rol Mops dans Services Secrets et Casse-Cou, etc.
En 1975, il entre chez Pif Gadget pour y réaliser tout d’abord quelques dessins d’annonce. Très vite, Michel Motti le prend sous son aile, et le jeune François reprend la série Pif dès 1976 tout d’abord en dessin, puis au scénario. Christian Godard l’encourage à se spécialiser dans cette voie, où ils n’étaient pas si nombreux à cette époque. Une activité qui le pousse à diversifier son registre. Alors qu’il ne travaillait que pour la série Pif depuis trois ans, 1979 marque un tournant : non seulement il commence à aider Bara pour le scénario de quelques gags de Cro-Magnons dans Super As, mais il lance également une nouvelle série Marine avec Pica (Pierre Tranchand) chez Pif Gadget. Et il continue à dessiner en réaliser en solo la série Pastis !
Les années qui suivent vont montrer la capacité de François Corteggiani à se démultiplier : ce sont des centaines de pages de scénario qui tombent chaque année, toujours chez Pif Gadget bien entendu, chez Super As jusqu’à la fin de ce magazine, puis dans Gomme !, la nouvelle revue de Jacques Glénat, sans oublier Circus. Les collaborations continuent au même rythme, soit avec de nouveaux auteurs comme le prometteur Philippe Bercovici, soit avec des amis déjà fidèles comme Pica dans les nouvelles séries que sont Chafouin et Baluchon à partir de 1980, Bastos et Zakpusky dès 1981 ainsi que Smith et Wesson à partir de l’année suivante.
La veine réaliste
En 1985, Jacques Glénat lance le magazine historique Vécu et Corteggiani est bien sûr de la partie. Le registre très réaliste de cette revue lui demande pourtant de changer radicalement sa pratique, lui qui s’était globalement cantonné dans l’humoristique. Qu’à cela ne tienne, le scénariste (qui continue toujours à dessiner pour son propre compte) se rajoute une casquette et se lance dans une saga historique centrée sur la mafia et intitulée De Silence et de Sang, une série qu’il débute avec Marc Malès avant de la prolonger avec Jean-Yves Mitton. Les deux auteurs s’étaient effectivement retrouvés au Journal de Mickey avec L’Archer blanc et avaient décidé de prolonger leur collaboration… qui va durer près de vingt ans, avec notamment Noël et Marie, les deux héros de la Révolution française.
Le scénariste prolifique n’en oublie pas l’humoristique, créant quatre autres séries avec Pica, comme Thimothée Titan avec le réputé Giorgio Cavazzano ! Mais c’est le réaliste qui vient de nouveau frapper à sa porte : lorsque le grand Jean-Michel Charlier s’éteint en juillet 1989, c’est François Corteggiani que l’on appelle à l’aide pour terminer le sixième album de La Jeunesse de Blueberry. À une époque où les tomes de la série-mère se font attendre, Corteggiani devient ainsi le scénariste attitré d’une des plus fameuses séries de western, alignant tout d’abord trois albums avec Colin Wilson, puis douze albums avec Michel Blanc-Dumont.
Un territoire qu’il ne cessera d’explorer, dépassant toujours ses limites. Bientôt on le voit œuvrer sur des séries d’aviation (Thunderhawks), sur l’Egypte ancienne (L’Horus de Nékhen),sur la vie des Grands peintres->art18619] au Japon médiéval au XVIe siècle (Saïto->art26892]) en passant par la voluptueuse Tatania K. avec Félix Meynet. Sans oublier ses reprises : Bob et Bobette, Sybilline, Les Pieds Nickelés et bien d’autres, qui témoignent de sa grande maîtrise de la bande dessinée populaire.
Mentor
Lorsque Pif le Journal cesse sa publication fin 1993, Corteggiani se tourne naturellement vers Mickey Magazine avait qui il collaborait déjà intensivement depuis une dizaine d’années. Ce caméléon fait à nouveau merveille, réalisant des scénarios des histoires de Mickey, Dingo, Génius, Picsou, les Castors Juniors, etc. Sa passion pour Pif ne l’a jamais abandonné et c’est ainsi qu’il devient le rédacteur en chef de la nouvelle formule de 2004 à 2008.
Arrive le temps où il se met à aider plein de jeunes auteurs, leur prodiguant des conseils, ou les mettant en relation avec les bonnes personnes pour se lancer. Comme en témoigne Stéphane Louis : « Générosité : c’est le mot qui me restera de François. Que ce soit pour ses proches et amis ou pour sa passion pour son travail. Je lui dois beaucoup, dont mes premiers pas dans la BD. »
Organisateur du Bistro-BD de Carpentras où les auteurs et amateurs de bande dessinée pouvait se rencontrer sans chichis, François Corteggiani restait un travailleur acharné doué d’une incroyable polyvalence : créateur pendant dix ans de figurines Kinder, animateur de Pif le chien dans L’Humanité sous le nom de Kort et plus récemment capable de reprendre le personnage de Lefranc et d’Alix créés par Jacques Martin.
François Corteggiani faisait preuve d’une grande sociabilité : dans les festivals où il connaissait tout le monde, sur Facebook où il ne cessait de souhaiter la bonne journée ou la bonne nuit chaque jour via des dessins qui ne manquaient d’éveiller des réactions, ou lorsqu’il présentait avec humour des apparitions surgies de la rivière Auzon qui coulait au fond de son jardin. Ce mélange de pertinence et de malice qui n’appartenait qu’à lui va beaucoup nous manquer. Heureusement, il nous laisse des milliers de pages de bande dessinée, qui nous démontrent si nécessaire l’immense auteur qu’il était, au propre comme au figuré. Ciao l’artiste !
Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.
(par Charles-Louis Detournay)
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