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Dupuis : Bientôt la fin de la partie ?

Par Nicolas Anspach Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 5 avril 2006                      Lien  
Ce mardi, la journée fut longue et tendue à Marcinelle. {{Vincent Montagne}}, le PDG de Média-Participations, propriétaire de Dupuis, était venu proposer sa garantie personnelle aux principaux acteurs de ce conflit qui dure depuis plus de trois semaines.

Il était accompagné par maître Jacques Jonet, le président du CA de la holding franco-belge, et Huguette Marien, la directrice générale ad interim de Dupuis. On se souvient que Dimitri Kennes, l’ancien directeur général de Dupuis, avait claqué la porte le 8 mars dernier, craignant que les éditions Dupuis perdent peu à peu leur identité. Le feuilleton dure depuis plusieurs semaines et fait l’objet, dans nos pages, d’un épais dossier.

On peut le résumer en disant que le départ de M. Kennes a mis en avant l’expression d’une défiance de la part d’un grand nombre de cadres, notamment une forte majorité du Conseil de Direction, soutenus par plus de 150 auteurs qui se sont exprimés à ce sujet. Ces mêmes cadres avaient proposé via M. Kennes et le directeur éditorial de la maison, M. Claude Gendrot, une solution de rachat (MBO) qui s’est muée depuis en l’exigence d’une charte d’autonomie pour l’éditeur de Marcinelle. Ce mardi, l’enjeu était l’établissement de cette charte que Média-Participations a acceptée en proposant vendredi dernier une lettre de garantie personnellement signée par le PDG de Média, Vincent Montagne. Par ailleurs, deux cadres virés, MM. Claude Gendrot et Alain Flamion, avaient mis comme préalable à leur réintégration, acceptée par Média, une négociation d’une charte.
Depuis trois semaines, entre communiqués vengeurs et coups bas, la situation s’envenime. Les auteurs comme les employés de Dupuis en ont marre. L’actionnaire aussi. "Il faut que cela se termine !" dit-on de toutes parts.

Une journée particulière

C’est dans ce contexte que les représentants de Média Participations se font accueillir dès leur arrivée par le Comité de Direction - tout le moins par ses membres "dissidents" - qui souhaitait s’entretenir collégialement avec eux. Une partie du personnel confirmait son soutien envers ces managers en attendant derrière les vitres de la salle de réunion d’où Vincent Montagne, Jacques Jonet et Huguette Marien pouvaient les voir.

Vincent Montagne leur a alors expliqué qu’il entendrait toutes les parties, y compris les auteurs, mais en tête-à-tête, voulant apporter sa caution personnelle à chacun d’eux. Les représentants du groupe Média ont alors reçu les deux directeurs licenciés, Claude Gendrot et Alain Flamion [1] en premier.

Des positions inconciliables ?

Suite à la lettre d’engagement de Vincent Montagne produite vendredi dernier, nous raconte Claude Gendrot, « Nous avons remis une réponse collégiale du comité de direction "dissident", à Vincent Montagne et à Jacques Jonet ce matin. La note de Média-Participations est incontestablement positive puisqu’elle reprend une grande partie des points de notre mémorandum. Mais il ne s’agit là que d’intentions et nous n’avons aucune garantie quant à la réelle volonté de Média-Participations de les appliquer. Il faut que nous engagions, tous ensemble, des discussions pour définir une charte claire et précise qui concernerait l’autonomie de Dupuis, ainsi que les changements structurels et organisationnels qui seraient opérés soit pour y parvenir, soit pour les conserver dans les départements qui n’ont pas encore été touchés. Nous souhaitons également pouvoir valider le choix du futur directeur général de Dupuis ».

Dupuis : Bientôt la fin de la partie ?
Vincent Montagne et Claude Gendrot. Des points de vue divergents.
(photo : D. Pasamonik)

Vincent Montagne ne l’entend pas de cette oreille. « On nous a signifié que la note d’intention établie par le holding franco-belge n’était pas négociable, raconte Claude Gendrot. On nous a clairement fait comprendre que nous n’avions que deux options possibles : soit nous la signions, soit nous en tirions la conséquence. »

La position de Média est radicale. Elle prend en compte deux réalités : la nature intuitu personae, basée sur une relation de confiance, entre un éditeur et ses auteurs, lesquels sont libres d’aller où ils veulent, une fois remplis les engagements réciproques des co-contractants. Sans cette confiance minimum, rien n’est possible. Et, d’autre part, la nature de subordination qu’implique un contrat de travail avec une entreprise. Cette attitude légaliste est dure, interprétée sans équivoque par Média, mais on peut la comprendre dans le contexte d’une négociation qui amènerait de part et d’autre à des revendications sans fin.

Claude Gendrot n’accepte pas cette vision des choses :« Ce n’est pas acceptable, car certains points de ce mémo ne sont pas clairs. Il faut entamer le dialogue sur la base de cette proposition et arriver à la création d’une charte précise. Chose qui nous as été refusée. Nous avons deux logiques différentes. Média a une idée industrielle de l’édition qu’ils veulent incorporer à Dupuis. Nous, les managers, nous souhaitons que Dupuis reste une maison d’édition qui considère la relation avec les auteurs et le personnel comme primordiaux, et ce en toute autonomie, tout en bénéficiant de synergies industrielles avec Média ».

Deux positions, semble-t-il, aujourd’hui inconciliables.

D’autant plus que, pour Média, il est clair que Dimitri Kennes est définitivement hors-jeu. Un élément insupportable pour Claude Gendrot : « Cet homme a été, pendant vingt mois, à l’origine du redéploiement et du dynamisme de Dupuis. Il est dommage qu’il soit totalement oublié par Média-Participations. C’est justement pour provoquer une prise de conscience du groupe, du personnel et des auteurs, qu’il a démissionné. J’ai toujours dit que Dimitri a toujours œuvré pour le bien de Dupuis. Nous sommes sur la même longueur d’onde et, de fait, indissociables. Dans une maison d’édition, les relations entre le directeur éditorial et le directeur général sont importantes et à la base d’un bon fonctionnement ».

Média insiste, de son côté, pour signaler que cet "état de grâce" de vingt mois dont Dupuis aurait bénéficié a pu exister précisément grâce au rachat de l’entreprise par Média au groupe d’Albert Frère, la CNP, et après celui-ci. Une période pendant laquelle le management de Dupuis a été laissé libre de ses actes, alors même que les synergies commençaient à faire leur effet. On nous dit du côté de Média que des gains importants ont été réalisés sur les frais de fabrication, par le simple jeu de l’effet de groupe. Dimitri Kennes ne peut donc s’attribuer seul les résultats de cette embellie.

Les autres managers et les auteurs dans le confessionnal

La plupart des managers « dissidents » ont été reçus par Vincent Montagne, Jacques Jonet et Huguette Marien en tête à tête. Il semble qu’il leur a été demandé, en substance, de «  se soumettre ou de se démettre. ». Un Conseil d’Entreprise qui aura lieu jeudi matin scellera sans doute le sort des uns et des autres en fonction de ces discussions.

On retiendra que l’implication de Vincent Montagne dans le dossier a permis de débloquer une situation délétère. Cette avancée a été ressentie de façon bénéfique par un certain nombre d’auteurs.

En revanche, les managers dissidents vont devoir, quant à eux, décider s’ils choisissent de rester ou de quitter l’entreprise.

Les trois auteurs désignés par leurs pairs le 20 mars dernier, Marc Hardy, Denis Lapière et Midam ont rencontré tous les acteurs du dossier. Ils semblent aujourd’hui un peu rassurés par les engagements écrits de Vincent Montagne. En cas de charte, pour autant que Média entre dans cette logique, ils entendent figurer dans les instances de la négociation. S’adressant hier à leurs collègues, les délégués souhaitaient « que des représentants des auteurs puissent dorénavant siéger de façon officielle lors des Comités d’Entreprise où, normalement, sont représentés tous ses principaux secteurs d’activités ». Par ailleurs, la délégation a proposé la création d’une commission tripartite, exclusivement chargée de contrôler le respect de la charte relative à l’autonomie de la maison d’édition Dupuis et qui comporterait neuf membres : 3 représentants de Média-Participations, 3 représentants de Dupuis et 3 auteurs.

Philippe Tome, remplaçant Marc Hardy et Denis Lapière qui étaient empêchés ce mardi matin, et Midam ont été reçus par les patrons de Média et la directrice de Dupuis. Vincent Montagne s’est porté garant que sa note d’intention sur l’autonomie de Dupuis sera appliquée. « Même si elle ne rentre pas dans les détails, nous dit Philippe Tome, on y aborde point par point l’indépendance de la politique éditoriale, de l’audiovisuel, de la distribution et de la politique éditoriale de Dupuis. Bref, c’est un document probant concernant l’autonomie de Dupuis, au-delà de l’indépendance éditoriale ».

Vincent Montagne
(c) Laurent Boileau.

Vincent Montagne a également verbalement accepté qu’une délégation d’auteurs assiste au Comité d’Entreprise de Dupuis, à condition que le droit belge le permette. Ceci est une première. Les délégués nommés par les auteurs devraient également pouvoir examiner ou signer une future charte, s’il y en a une. En quelques heures, la position de Vincent Montagne semble avoir évolué. Inflexible avec les membres "dissidents" du Comité de Direction, il s’est montré conciliant envers les auteurs de la maison. Claude Gendrot semble avoir compris que la note d’intention était un aboutissement, et qu’elle n’était pas négociable. Or, les deux auteurs, eux, ont apparemment entendu que la création d’une charte était envisageable...

Les auteurs ont là une belle carte à jouer et ils se trouvent dans l’obligation, s’ils veulent être crédibles, de s’organiser pour que leur représentation soit conforme aux règles de la gouvernance d’entreprise.

Le cas Spirou

Les différentes parties ont également mentionné la note de Jean-Chistophe Delpierre, directeur général de Dargaud, au sujet de l’avenir du journal de Spirou [2]. Une note mal ressentie par bien des cadres et la plupart des auteurs publiés dans cet hebdomadaire, le seul, avec Mickey, encore présent dans l’espace francophone. Claude Gendrot a posé la question au PDG : « Vincent Montagne m’a confié qu’il ne s’agissait pas d’une ingérence dans les affaires de Dupuis. Selon lui, nous devons nous habituer à ce que les différents experts du groupe puissent nous fournir une aide ! ». Il ajoute, radical : " Ce n’est pas une explication que l’on peut recevoir ».

Philippe Tome tempère : « Les synergies qui s’opèrent dans le groupe sont parfois mal comprises ou s’expriment à des moments inopportuns. Il est logique que Dupuis puisse avoir recourt à ce type de conseil. L’intégration de Dupuis dans Média-Participations a pour objectif de défendre de manière plus forte nos bandes dessinées par rapport à des enjeux particulièrement cruciaux : la distribution, la diffusion, les relations avec les points de vente et les grandes surfaces, etc ». Dans un communiqué transmis à leurs collègues hier soir, Midam et Philippe Tome confirment que Vincent Montagne souhaite laisser toute liberté à Dupuis et au magazine Spirou.

En conclusion de cette journée, on constate que Claude Gendrot et certains autres managers de chez Dupuis ont des positions de plus en plus divergentes de celles de leurs patrons. Chez les auteurs, le clivage est moins clair, entre ceux qui s’inquiètent de l’indépendance de Dupuis et ceux qui considèrent que les engagements de Vincent Montagne sont suffisants. Il semble surtout que domine le désir que cette affaire se termine au plus vite.

Sans préjuger des résultats du Conseil d’Entreprise de jeudi où les employés de Dupuis et leurs syndicats auront aussi à s’exprimer, il semble que l’on se dirige vers une fin de partie, le temps pour la jouer étant arrivé, pour beaucoup, à son terme.

(par Nicolas Anspach)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

[1Respectivement ex-directeur éditorial et ex-directeur de la logistique, de la distribution et de l’informatique

[2Adressée à l’un des éditeurs de la maison le 26 mars dernier, elle s’était retrouvée à la une des quotidiens belges.

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