Ils sont une poignée de bonshommes, se connaissent depuis leur plus jeune âge et se côtoient encore presque quotidiennement. Ils ont leur passé et leurs histoires, leur amitié et leurs bisbilles, leur humour et leurs blagues. Ils n’ont plus guère d’autre ambition que de couler des jours heureux et s’appliquent du mieux qu’ils peuvent à réussir cette noble tâche sans trop s’éreinter ni même peiner.
Ils se regroupent régulièrement au café du coin, après avoir fait leur marché et avant le déjeuner. Évidemment, ils n’y sucent pas que de la glace. Peu importe les mauvaises habitudes ! Ce qui compte, c’est de passer le temps en parlant pour ne rien dire, c’est d’évoquer les bons vieux souvenirs et de se titiller pour rigoler. Parfois, ils vont chez l’un ou chez l’autre. En général chez Roland, dit le Shériff pour le large chapeau qu’il ne quitte jamais.
Chez Roland, la bonne humeur règne. Son gîte tient à la fois de l’auberge espagnole et de l’arche de Noé. Il vit avec sa sœur, qu’il se contente de sortir sous un porche qu’elle que soit la saison. Il faut dire que depuis un chagrin d’amour - euphémisme romantique pour désigner la trahison d’un homme - elle n’a plus sa tête. Les poules, « cochons dingues » et autres bêtes lui tiennent compagnie.
La vie de Roland, comme celles de ses amis, est faite d’habitudes routinières. Rassurantes, elles sont suivies sans ennui et avec juste ce qu’il faut de mélancolie pour se sentir vivant. La grande affaire de la journée racontée par David Prudhomme dans L’Oisiveraie, c’est la séance de bricolage prévue par Roland. Il s’agit de retapisser de blanc sa cuisine, jusque-là ornée d’une multitude de photographies de femmes dénudées... L’enjeu est minime !
Nous avons là une bande dessinée qui est l’occasion pour David Prudhomme de narrer et dessiner « les petits rites de la vie ». C’est sans doute ce qu’il parvient le mieux à mettre en scène. Est-ce ce qu’il préfère vraiment ? C’est fort possible, car nous ressentons à la lecture de L’Oisiveraie la tendresse qu’il voue à ses personnages [1]. Ils ne sont évidemment pas des héros et sont éminemment humains. Jamais complètement mauvais, pas exempts de défauts, ils ont pu être cabossés par la vie mais ont pris le parti de ne pas s’en faire.
Presque rien à raconter, des pages immuablement carrées, un noir et blanc riche et fin mais sans fioritures : il faut toute l’imagination et la dextérité du dessinateur pour ne pas lasser avec de telles contraintes. Le naturel des dialogues et la simplicité du cadre entretiennent un effet de réalisme. Les trognes exagérées et la variété des compositions, aux phylactères étrangement décalés, rappellent que nous sommes dans une bande dessinée qui ne se prend pas au sérieux.
En sélection officielle pour le prochain Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, L’Oisiveraie représente bien ce dont la bande dessinée est capable : faire passer beaucoup avec peu. Il fallait pour cela l’humilité et l’expérience d’un auteur apte à se glisser dans la peau de ses personnages tout en leur conférant chair et poésie.
(par Frédéric HOJLO)
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L’Oisiveraie - Par David Prudhomme - L’Association - 22 x 22 cm - 132 pages en noir & blanc - couverture cartonnée - parution le 18 octobre 2019.
Une partie des planches de l’ouvrage a été publiée en 2002 (planches 13 à 41) et 2005 (planches 43 à 77) aux éditions Le Rideau d’arbres.
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[1] L’un d’entre eux pourrait bien être l’alter-ego de l’auteur : nous laisserons au lecteur le soin de le démasquer.