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Le Fil d’Ariane, Récit d’une trahison - Par Nadja - Actes Sud

Par Jorge Sanchez le 10 mars 2022                      Lien  
Une femme disparaît après une soirée entre amis. Sa sœur engage un détective privé qui suit sa trace à travers ses carnets intimes. Il commence alors à rebrousser le chemin labyrinthique dans lequel l'artiste s'est engouffrée… Elle se perd, se retrouve, se perd à nouveau. Elle poursuit Ariane, son homonyme antique, et construit le fil d'un récit qui nous entraîne dans les profondeurs de son âme. Publié en septembre chez Actes Sud, avec un album pour enfants, "Le jardin d'Ariane", en complément de celui-ci, l'autrice du "Chien Bleu", Nadja, nous livre une réinterprétation originale du mythe grec.

Nous connaissons tous l’histoire d’Ariane, la princesse crétoise qui, par amour de Thésée, trahit son père le roi Minos et donne à son amant le célèbre fil. Lui permettant ainsi de sortir du labyrinthe où vit le terrible Minotaure. Moins connus sont les événements ayant suivi cet exploit : après avoir fugué avec Thésée, celui-ci l’abandonne sur une île (Naxos selon la tradition courante et Dia selon Homère) avant de rentrer à Athènes… Triste destin pour une héroïne ayant tout sacrifié et encouru les mêmes risques que son amant. Cependant (exception majeure dans les mythes grecs) elle sera sauvée par Dionysos et sa fin sera bien plus heureuse que celle de Thésée, frappé d’ostracisme puis tué par le roi Lycomède.

Notre Ariane, conçue par Nadja, vit une crise existentielle. Elle cherche l’inspiration tout en se demandant quelle expression artistique elle doit suivre. À travers son carnet, nous découvrons ses pensées, mais aussi le processus par lequel elle construit son récit. Celui-ci colonise peu à peu sa réalité, jusqu’à ce qu’elle doive trouver la sortie du labyrinthe de ses idées, tout en fuyant un minotaure bien réel…

Le Fil d'Ariane, Récit d'une trahison - Par Nadja - Actes Sud
Le fil d’Ariane. Récit d’une trahison

Avec en guise de préface un poème de Robert Graves (auteur connu pour ses récits sur le monde gréco-latin, souvent semi-satiriques, subvertissant les tropes de la mythologie grecque), nous nous préparons déjà à rencontrer une version rédemptrice d’Ariane…

L’autrice franco-égyptienne a depuis longtemps établie son esthétique, plus proche de la peinture de Modigliani que des référents habituels de la BD, préférant les tons pastel et les figures dégarnies de détails superflus. L’univers de ses personnages est dénudé de particularismes permettant de les situer dans une géographie ou une temporalité précise. L’effet peut dérouter dans un premier abord par ses grandes taches de couleurs sans contrastes trop prononcés ni lignes claires.

Cependant, le potentiel de son graphisme réside dans sa capacité expressive, nous rappelant par instant les figures de Munch. Puisque dans un monde où chaque personnage vit dans son propre labyrinthe d’émotions sans jamais parvenir à les verbaliser pleinement, les gestes et les expressions disent souvent beaucoup plus que les mots. D’autant plus que Nadja utilise des compositions dynamiques, mélangeant plusieurs plans sur une même planche (fréquemment sur toute la page) en utilisant parfois des angles en plongée ou contre-plongée. Ce qui donne l’impression de pénétrer dans un monde onirique petit à petit.

Le fil d’Ariane. Récit d’une trahison

Certainement, nous plongeons dans un autre monde : celui d’un labyrinthe composé de plusieurs niveaux narratifs. Nous commençons par le dîner entre amis, puis le détective qui reconstruit les déambulations d’Ariane, qui à son tour, nous narre sa perspective des événements avant de nous engouffrer dans le récit d’une Ariane qui ne veut plus être un personnage secondaire dans le récit de quelqu’un d’autre, mais plutôt sa propre héroïne...

Ainsi, ce qui au début semblait devenir une narration en matriochka, devient un beau dédale. Au sein duquel nous souhaitons découvrir comment nos deux Arianes vont pouvoir s’en sortir. Au fur et à mesure qu’elles avancent, nous nous demandons si le Minotaure et Thésée ne sont pas en réalité la même personne, ou encore, si ledit labyrinthe (ici représenté comme une grotte), n’est pas une représentation des passions sexuelles et de leurs affres…

Avec quelques touches de féminisme et de roman intimiste, Le fil d’Ariane nous parle habilement du corps et s’interroge sur comment se l’approprier face aux minotaures et aux angoisses créatives. L’album nous offre ainsi une lecture engageante, il est sélectionné, à juste titre pour ses qualités narratives, à l’édition de 2022 d’Angoulême.

Le fil d’Ariane. Récit d’une trahison

(par Jorge Sanchez)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782330154370

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