Le journal de Spirou, avec son numéro 4405 de cette semaine a décidé de fêter le 40 ans de Jérôme K. Jérôme Bloche avec un spécial détective, comme il se doit.
Non, Jérôme n’a pas 40 ans, pas du tout, encore moins question maturité ou sens des responsabilité, même si récemment, dans le dernier album, avec sa chère Babette élue de son coeur, il est embarqué dans une histoire de mariage, disons...
Mais ici, là, maintenant, on célèbre les 40 ans de sa première publication dans le hors-série Spirou Album + de l’automne 1982.
C’est là que le maestro de la BD franco-belge Alain Dodier, dont on imagine la dextérité sans faille fourbie par des années de pratique assidue, d’abnégation, nous fait une révélation : il ne peut plus gratter ! Aïe, encore un mythe qui s’effondre, se déconstruit, s’anéantit, pschiiittt, comme un pneu !
Alors simple illusion, aliénation, construction patriarcale et tout le toutim, encore ? C’est la faute à qui, ici, où est la victime potentielle, chronique ? On va bien trouver, c’est forcément aussi la faute de quelqu’un, oui forcément !
Préparez votre légitime droit à l’indignation, votre juste courroux ! Enfin ceux que ça tente. En période de canicule, brasser de l’air est souverain, c’est sûr ; mais surtout, attention aux écolos, ceux revendiqués, exclusifs, carnassiers, on sait jamais... Que l’essentiel, la réalité soient à évaluer ailleurs, là où on contraint, exploite, endoctrine, humilie, pille, élimine, où on ne souhaite donc pas -les gros poissons qui abusent des petits- que l’on regarde, n’entre ici dans aucune sorte de considération, jamais. Oui, regardons tous dans la même direction : on est suiveur ou on ne l’est pas.
Plus terre à terre et tout aussi distrayant, Dodier nous explique, un peu nostalgique et surtout rieur, occasion rêvée de pénétrer dans les tréfonds et abîmes de la création d’un maître, ici victime du temps qui passe et du progrès qui régresse.
Quitte à ne pas économiser son énergie, atomiser son bilan carbone ; de là à y voir un symptôme, mieux un constat, de cette enivrante époque pleine de promesses et de contradictions, joie : "Comme mon personnage, j’aime me déplacer en deux-roues, et il m’arrive de devoir réparer un pneu crevé. Dans le cadre de mon métier, j’utilise aussi des rustines. C’est le surnom que l’on donne aux vignettes corrigées. Parfois, il y a trop de retouches à faire sur un dessin, alors, plutôt que de le recouvrir de gouache blanche, je dessine à part un morceau de case, ou une case entière et je la colle sur la planche. Mes planches au début étaient en moins mauvais état, simplement parce que le papier de l’époque était plus résistant, que je pouvais gratter l’encre de Chine ou utiliser une puissante gomme électrique pour poncer le dessin et recommencer par-dessus. Le papier que j’utilise aujourd’hui ne le permet plus. Et comme, plus ça va plus je travaille comme un cochon, mes planches ressemblent de plus en plus à des champs de bataille. Je suis devenu le roi du repentir."
Alors la BD, de l’art ou du cochon, même en tranches ou en rustines ? Quand c’est un champion du crayon et de la narration comme Dodier qui s’y colle -normal pour des rustines- on a notre petite idée.
Sans repentir ni regret, peu importe l’époque, l’air qu’on brasse, les révolutions purement cosmétiques, le couillon ou la couillonne 2.0 -OK gobeur !, Dodier annoncerait-t-il in petto quitter les champs de bataille pleins d’encre pour rire ou mieux apprécier le temps qui passe ? Ça en a l’air...
(par Pascal AGGABI)
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