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Philippe Geluck (2/2) : « Je partage mon temps entre un tiers de dessin, un tiers de sculpture et un tiers de peinture »

Par Charles-Louis Detournay le 31 décembre 2019                      Lien  
Seconde partie de l'interview que Philippe Geluck nous a accordée : on y parle de ses peintures - est-ce de l'art ? - et sa forte implication dans la sculpture, il exposera notamment de gigantesques statues sur les Champs-Elysées dès le mois d'avril.

Cela fait plus de trente ans que vous dessinez et interagissez grâce au Chat, et vous avez au fur et à mesure diversifié vos activités. Qu’est-ce qui vous donne envie de vous installer à la table à dessin chaque jour, après autant d’années ?

Le plaisir. Car je n’ai plus de contingence presse, le quotidien Le Soir ayant décidé d’interrompre notre collaboration. Nous étions traditionnellement en dernière page avec Johan de Moor et Kamagurka. Mais le premier avril dernier, on nous a annoncés que c’était fini. Sans plus d’explications. Nous avons alors décidé de réaliser un dernier dessin en commun.

Depuis ce remerciement sans merci, je continue d’autant plus à dessiner, avec un plaisir gourmand. Des dessins destinés aux albums ou à d’autres supports de presse comme La Voix du Nord. Et je trouve qu’une partie d’entre eux demeure d’un très bon niveau. Tant que cela sera le cas, je continuerai à m’y adonner avec joie.

Philippe Geluck (2/2) : « Je partage mon temps entre un tiers de dessin, un tiers de sculpture et un tiers de peinture »
Le dernier dessin réalisé par Kamagurka, Johan de Moor & Philippe Geluck dans le quotidien de Le "Soir".

Vous avez pourtant d’autres activités : l’une de vos peintures a récemment battu de nouveaux records chez Christie’s, puis vos sculptures sont attendues au printemps prochains sur les Champs-Elysées !

Je partage mon temps entre un tiers de dessin, un tiers de sculpture et un tiers de peinture. Bien sûr, ce n’est jamais la valeur d’un tableau ou le tirage d’un album qui me motive à travailler, cela reste le plaisir. Le travail sur toile me plaît d’ailleurs car le mouvement est plus ample. Mais je ne me limite pas aux grands dessins ou à la peinture, j’ai réalisé cet hommage à Banksy ou j’ai imaginé ce cadre cassé…

Record battu pour une peinture de Geluck - Chez les Pollock - adjugée à plus de 80.000 € à la dernière vente Christie’s.

Finalement, vous riez de l’art en faisant de l’art ?

Oui, mais je veux rire de manière amicale, respectueuse et à la fois insolente, ce qui est globalement bien compris par les artistes. Par exemple, j’ai ainsi eu la chance d’avoir été invité chez Pierre Soulages il y a deux ans. Bien sûr je lui ai apporté un dessin en hommage à son travail, puis il m’a fait visiter son atelier, ce qui m’a procuré une joie infinie, comme si, enfant, j’avais pu visiter un énorme magasin de jouets escorté par le Père Noël. En sortant, il m’a adressé cette superbe phrase : « On devrait se tutoyer : on fait le même métier. »

Quelques mois plus tard, je rencontre le directeur du Musée Picasso, et il m’explique : « Le dessin que vous avez offert à Soulages, il l’a encadré dans son salon. » Cette marque d’affection est la récompense suprême à mes yeux.

Vous n’avez donc pas essuyé de critiques acerbes ?

Lorsque certains me rétorquent : « On a vu vos tableaux… Faudrait voir à quand même pas vous prendre pour un peintre ! », j’essaye de passer outre. Si un type qui fait des tableaux et les expose n’est pas un peintre, qu’est-ce qu’un peintre ? Au-delà de cela, je peins depuis plus de quarante ans, comme on pourra le voir dans le catalogue Le Chat déambule qui sortira en avril prochain : des œuvres qui mêlent la sculpture à la peinture.

"Le Chat déambule", l’album-catalogue de l’exposition du Chat aux Champs-Elysées, sortira le 8 avril 2020.

Justement, je savais que vous vous étiez essayé à quelques petites sculptures, il y a quelques années. Mais j’étais assez étonné que vous vous lanciez dans des pièces d’aussi grandes ampleurs. Comment est née cette passion ?

Toujours pour le même livre, j’ai été exhumer des pièces réalisées lorsque j’avais dix-sept ans. J’ai donc de l’appétence pour la sculpture, mais le véritable déclic est survenu alors que je travaillais au quotidien Le Soir il y a de nombreuses années, et qu’on m’annonce un visiteur pour moi. Un jeune sculpteur François De Boucq vient m’apporter un buste du Chat qu’il a réalisé. Surpris et touché, je le remercie et le félicite pour sa prouesse technique. Néanmoins, je lui fais remarquer qu’à mes yeux, ce n’est pas vraiment le Chat. « Mais il n’y a que vous qui pouvez le déterminer, me répond-il. Passez à l’atelier pour m’expliquer. » J’ai beau lui rétorquer que ce n’est pas mon métier, je me retrouve avec cinq kilos de terre glaise devant moi.

Bon gré, mal gré, je me mets au travail, et je réalise un buste du Chat. Quand il revient me voir, il observe mon travail, et il me dit : « Tu es un sculpteur. » Et je rétorque : « - Non, je suis dessinateur et… ». Et il me reprend : « - Ce n’est pas une question : tu es sculpteur. Je n’ai jamais quelqu’un capable de réaliser en vingt minutes un travail de cette qualité. »

Cette rencontre nous a donné envie d’entamer une collaboration, et d’utiliser ce premier buste comme référence de tout le travail que nous allions réaliser à quatre mains par la suite. Tout d’abord un buste officiel, puis le Discobole pour l’exposition réalisée en 2003. À partir de 2006, j’ai commencé à réaliser une sculpture par an que je présente à la BRAFA, le Salon des Antiquités et des Beaux-Arts, ce qui a semble-t-il intéressé les collectionneurs.

Quelle est votre méthode de travail avec François De Boucq ?

Je commence toujours pas dessiner quelques esquisses, puis je réalise un premier projet de statuette en trois dimensions réalisée en fil de fer. Ensuite, il me soude une armature d’acier pour soutenir la terre que je sculpte. Lorsque le mouvement est bien présent, je lui passe la sculpture pour les finitions. Il y a encore quelques allers et retours entre nous deux pour des précisions. Enfin, on passe au moule pour la coulée, etc. Il s’agit donc d’une collaboration à quatre mains que j’initie toujours, que je pourrais peut-être complètement réaliser seul, mais cela me prendrait un temps conséquent. Et je ne serais jamais prêt à temps pour l’exposition aux Champs-Elysées.

Chat chef d'orchestre et chat d'opérette... À quoi pourraient bien s'amuser les 18 autres ?

Cette exposition reprendra donc les statuettes réalisées précédemment, mais en grand format ?

Au fur et à mesure des années, j’ai donc progressivement réalisé douze sculptures. Nous y rajoutons huit nouvelles statues complètement inédites. Pour passer au format de trois mètres, nous avons scanné en trois dimensions le modèle en résine issu du moule originel. Sur base de ces mesures, un fraiseur reproduit la statue en grande taille. On repasse alors dans l’atelier, où nous posons un enduit pour lui donner la patte définitive. Ensuite, on envoie la statue à Alost où ils réalisent un moule en grand format en silicone, qu’ils découpent afin de pouvoir couler chaque partie de la statue, qu’ils ressoudent ensemble. En tout, trente personnes travaillent dessus pour être prêts pour avril. Exposer aux Champs-Elysées, c’est un rêve éveillé.

Cette exposition a également l’objectif de financer votre musée ?

Oui, avec les différentes étapes et les autorisations, le musée avait pris un peu de retard, ce qui n’était pas si grave car je n’en avais pas encore bouclé non plus le budget total. Pour toucher les éventuels investisseurs, je me suis alors souvenu de l’exposition réalisée par Botero et ses gigantesques statues en 1992, et de la prolonger par un passage dans différentes villes de France.

D’un côté, les collectionneurs peuvent bénéficier de l’abattement fiscal en France, et de mon côté, j’ai renoncé à tout intérêt financier afin que tous les bénéfices de l’opération aillent directement et exclusivement au Musée du Chat. Tout cela est vertueux, culturellement parlant, sans que cela coûte un centime à la Ville de Paris, ni aux autres villes comme Bordeaux. Par contre, en contrepartie, ils me mettent en relation avec des personnes intéressées. Ainsi, deux châteaux bordelais ont déjà acquis chacun une des vingt statues.

Déjà une réussite avant même le début de l’exposition. Combien de statues sont alors déjà vendues ?

Neuf statues ont déjà trouvé acquéreurs. Il n’en reste plus que onze. À bon entendu, Chalut !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782203172678

Lire la première partie de cette interview de Philippe Geluck (1/2) : « L’album reste mon plus grand espace de liberté »

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Toutes les photos sont : ©StudioFiftyFifty - Geluck, 2019.

 
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