Jean Solé n’en revenait toujours pas : voyant la suite des aventures de Superdupont confiée par Gotlib à François Boucq (voir notre entretien avec ce dessinateur sur ActuaBD.com), sans qu’il soit le moins du monde informé au préalable, il se trouvait en quelque sorte techniquement "viré" de la série, sans préavis, alors qu’il l’animait depuis 1979.
Gotlib avait parfaitement le droit de le faire : il est le détenteur du droit moral du personnage. Le choix de Boucq, en outre, est un choix royal. Sa virtuosité graphique et son sens de l’humour en faisait le candidat idéal pour une relance de la série. Mais pourquoi chez Dargaud et pourquoi sans Solé ? C’est la décision de Gotlib : "Il trouvait que Superdupont s’était un peu encroûté" commente sobrement Boucq dans cet entretien.
Il paraît que Solé et Gotlib se sont expliqués depuis, mais le trouble demeure d’autant que, derrière ce choix, il y a le transfert de Superdupont de Fluide Glacial à Dargaud qui se profile. Le Spécial Gotlib publié en 2014 avait scellé une alliance provisoire entre Dargaud et Fluide qui se partageaient l’œuvre du maître français de l’humour : celle d’avant 1972 où il œuvrait pour Pilote et celle d’après 1972 où il consacra son travail à L’Écho des Savanes, un titre qu’il avait fondé avec Bretécher et Mandryka, et à Rock & Folk dans des thématiques plus adultes (Rhââ Lovely, Hamster Jovial...).
Avec la création de Fluide Glacial que Gotlib mit en œuvre avec son copain d’enfance Jacques Diament en 1975 et celle, dans la foulée, des éditions Audie, l’œuvre de Gotlib restait attachée à ce dernier label. Jusqu’à sa revente à Flammarion en 1995, une société elle-même rachetée par Rizzoli RCS fin 1999, laquelle se retrouve rachetée par Gallimard en 2012..
Ces fusions-acquisitions successives ont correspondu pour Fluide à autant de changement de rédacteurs en chef et de managers qui ont fini par distendre les relations avec les créateurs d’origine. Entre les difficultés économiques de l’édition et une équipe de fondateurs vieillissante qui, naturellement, était appelée à se trouver renouvelée, il est clair que le Fluide de 2015 n’a plus grand chose à voir avec celui de 1975.
Un patrimoine disputé
Reste que Fluide se sent le détenteur naturel de la création de Superdupont dont l’identité est fortement associée au journal. C’est pourquoi, à la suite du lancement de Superdupont : Renaissance chez Dargaud, Fluide Glacial s’est attaché à publier ces jours-ci une anthologie commentée : "Il était une fois Superdupont", avec des commentaires précieux de Gérard Viry-Babel et surtout des hommages des plus grands noms de la BD franco-belge et, super-héros oblige, de la BD US !
Avec une préface de Neal Adams, d’abord, l’un des plus grands noms du comic book, forcément expert en super-héros (il a œuvré aussi bien sur Batman que sur Deadman, Green Lantern, Green Arrow, les X-Men...), lequel trouve bien normal que les Français aient leur super-héros dont les pieds sentent le camembert.
Avec une introduction historique ensuite qui rappelle que SD, comme on l’appelle par son petit nom, a été créé dans... Pilote chez Dargaud (c’est là qu’on voit les gars de la rue Moussorgski qui se redressent, mettant en avant leur légitimité : ils ont été les premiers !). Bien qu’il soit absorbé par le lancement de L’Écho des Savanes et un peu brouillé avec René Goscinny, Albert Uderzo et Guy Vidal convainquent Gotlib ) à refaire un tour du côté du Journal qui s’amuse à réfléchir. Son numéro 672 accueille, le 21 septembre 1972, sept pages du super-héros aux trois couleurs signées Jacques Lob et Gotlib. Il est super-raciste, super-réac, super-homophobe, super-anti-communiste, super-antisémite, super-pas-politiquement-correct et super-patriote. Il ne pensait pas que quelque 45 ans plus tard, ce personnage-là ne serait plus une simple parodie mais l’incarnation d’une idéologie qui se trouverait aux portes de la présidence française en 2017...
Cette anthologie est une merveille car non seulement on y retrouve des Superdupont dessinées par Gotlib et Alexis, d’autre de Jean Solé (qui nous fait une sublime couverture), des hommages de Goossens, Pétillon, Cabu, Forest, Bilal, Tardi, Mézières, Binet, Edika, Pichard, Maëster, Goetzinger, Chauzy (un essai avorté, dommage...), Tebo & Zep, l’excellent Romain Dutreix, et en particulier un épisode de Superdupont par Neal Adams lui-même qui nous offre un crossover entre notre super-héros en Damart Thermolactyl et... Zipperman, une parodie de la version de Clark Kent en collants !
Il ne faudra pas longtemps pour qu’ensemble, et avec l’aide d’une sorte de JLFA (Justice League of French and Americans, ils terrassent l’ennemi (forcément judéo-communiste) Igor Sonoffabitch dont le but maléfique est, outre d’empoisonner les puits, de détruire tous les films de Ronald Reagan. Un chef d’œuvre scénarisé par Lob et Gotlib ! L’autre clou de l’anthologie sont ces pages signées Harvey Kurtzman et Sarah Downs où Superdupont apprend que les autres super-héros sont des étrangers qui parlent anglais !
Un album remarquable dont on regrette cependant qu’il ne soit pas à 100% par des auteurs bien de chez nous.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Lire l’interview de Boucq à propos de Superdupont : Rennaissance.
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