Les Éditions Martin de Halleux, encore jeunes et toujours indépendantes, s’attachent à diffuser des œuvres mettant à l’honneur la narration graphique dans le sens fort de l’expression, c’est-à-dire s’attachant à raconter une histoire grâce au graphisme et en l’absence de mots. Elles ont ainsi contribué à remettre le graveur de génie Frans Masereel sur le devant de la scène, ainsi que José Guadalupe Posada et Félix Valloton, tout en s’intéressant à la bande dessinée avec Monk ! de Youssef Daoudi.
Cette ligne est suivie également avec la nouvelle collection « 25 images », prévue pour accueillir uniquement des récits en images et sans parole. En référence au livre 25 images de la passion d’un homme, premier véritable « roman graphique muet » publié par Masereel en 1918, cette collection donne la possibilité à des auteurs d’horizon divers de créer des histoires courtes, en noir et blanc, et dépourvues de tout mot ou onomatopée.
D’une lecture rapide et immédiatement prenante, ce format est l’occasion d’expérimenter : faire passer des émotions, sentiments et idées en peu d’images et sans mot est une gageure. Il faut une grande maîtrise de la narration, un sens du rythme, un art de la composition permettant à chaque dessin de faire sens tout en s’intégrant à un ensemble qui se doit d’être cohérent et convaincant. Les deux auteurs choisis pour inaugurer la collection, qui ne sont certes pas des débutants, ont toutes ces qualités.
Vingt-cinq images, c’est donc tout ce qu’il faut à Thomas Ott pour nous immerger dans son univers moitié angoissant, moitié mélancolique. Vingt-cinq pleines pages muettes réalisées grâce à sa technique de la carte à gratter, aussi rare qu’impressionnante lorsqu’elle est aussi bien maîtrisée. En grattant au cutter une plaque blanche recouverte d’encre de Chine, il cisaille ses dessins avec une précision d’orfèvre, et dessine « en blanc sur noir » plutôt que l’inverse, plus habituel.
La Forêt raconte une histoire simple comme Thomas Ott en a le secret. Un enfant en deuil, qui fuit la morosité de sa maison, trouve refuge dans une forêt de conte de fée. Un rêve, cauchemardesque mais finalement plein d’espoir, fait émerger les thèmes favoris du Thomas Ott : la mort, les monstres, la folie, la condition humaine.
Le deuxième ouvrage de la collection est signé par Joe Pinelli. Marguerite est une promenade poétique et ludique mais réaliste dans le Paris des années 1930. Un peintre croise le regard d’une femme. Immédiatement séduit, il la suit - elle n’est pas dupe - et la peint dès qu’ils s’arrêtent. Chemin faisant, ils traversent Paris.
Après le premier dessin, qui met en scène la rencontre, toutes les double-pages s’organisent sur le même modèle. À gauche le peintre, à droite son modèle selon la vision même de l’artiste. La complicité s’installe au fur et à mesure de la déambulation. Et l’on assiste alors à la fois à un jeu de charme, un processus de création et un moment d’histoire.
Joe Pinelli brosse un tableau très vivant et dynamique de Paris. Rues, marchés et gares sont extrêmement animés. Le duo s’insère discrètement dans le paysage urbain, parmi la foule. En vingt-cinq dessins, l’auteur parvient à intégrer la petite histoire, anecdotique mais singulière, à la grande. Car l’épisode se tient le 12 février 1934, alors que la gauche républicaine manifeste contre le fascisme et pour la paix, en réaction au rassemblement du 6 février des ligues d’extrême-droite, qui avait conduit à la mort de seize personnes.
Thomas Ott comme Joe Pinelli s’approprient avec un indéniable savoir-faire le modèle inventé par Frans Masereel il y a plus d’un siècle. Par ces « nouvelles graphiques », ils rappellent que la débauche de moyens ne garantit pas la qualité, et qu’au contraire la sobriété peut être une condition favorable à la création et à l’imagination. Voilà une collection qui commence sur d’intéressantes bases.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
(par Frédéric HOJLO)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
La Forêt - Par Thomas Ott - Les Éditions Martin de Halleux - 1er volume de la collection "25 images" - 19,6 x 27,2 cm - 32 pages en noir & blanc - couverture cartonnée, reliure cousue - parution le 10 novembre 2020.
Marguerite - Par Joe Pinelli - Les Éditions Martin de Halleux - 2e volume de la collection "25 images" - 19,6 x 27,2 cm - 32 pages en noir & blanc - couverture cartonnée, reliure cousue - parution le 10 novembre 2020.
Lire également sur ActuaBD à propos des Éditions Martin de Halleux :
Les 100 ans du premier « roman graphique » de Frans Masereel
La brillante « Idée » de Frans Masereel
Monk ! Thelonius, Pannonica… Une amitié, une révolution musicale - Par Youssef Daoudi – Ed. Martin de Halleux
"Posada. Confession d’un squelette" - Par Samuel Dégardin - Les Éditions Martin de Halleux
Et à propos des auteurs :
Joe G. Pinelli : "Dessiner est une nécessité profonde que je ne peux expliquer"
Trouille- Par Marc Behm & Joe Pinelli - Casterman
Intégrale No mas pulpo - Par Joe G. Pinelli - Ego Comme X
Pinelli illustre Marc Villard sur fond de Jazz
Joe G. Pinelli & Thierry Bellefroid : « Le choix de la technique graphique est une manière expressionniste d’entrer dans l’âme de notre personnage »
Thomas Ott : cutter et monochrome
Participez à la discussion