Il fascine, angoisse, terrifie, émeut : il ne laisse personne indifférent. Junji Ito est de ces auteurs qui marquent leur génération autant qu’ils marquent leurs lecteurs. Mis à l’honneur d’une ambitieuse exposition au FIBD 2023, nous avons pu la visiter en sa compagnie, il la découvrait alors pour la première fois aux côtés de Stéphane du Mesnildot, commissaire d’exposition.
Doc Martens aux pieds, costume classieux et lunettes d’écoliers, Junji Ito ne départ pas de son sourire d’enfant alors qu’il découvre ses propres planches sur les cimaises. Elles sont accrochées à des murs joliment habillés à la manière d’un intérieur de maison traditionnelle japonaise, une rue un peu inquiétante, et un temple vaguement hanté.
Le contraste est saisissant à voir, cet homme discret et propre sur lui qui déambule parmi des dessins absolument horrifiants tout droit sortis de son imagination. Il cache bien son jeu...
Pour introduire l’exposition, son commissaire monsieur Stéphane du Mesnildot évoque évidemment la référence à Carpenter, "pour les proximités de thèmes que ces deux géants de la pop culture partagent". Sans plus de cérémonie, il nous emmène dans la première partie de l’exposition, consacrée à une obsession majeure d’Ito : "l’horreur domestique. C’est celle qui surgit des espaces restreints et circonscrits de la maison traditionnelle japonaise, comme celle qu’a habité l’auteur dans sa jeunesse. L’horreur à hauteur de tatamis."
C’est un autre thème essentiel d’Ito qui habite la deuxième partie de l’exposition : le commissaire décrit "l’horreur sociale, et la darkside de la beauté normative omniprésente dans le Japon des années 80. C’est la terreur qui croît pendant la bulle économique, dans un pays qui imagine son opulence éternelle, vénère des idol (chanteuses souvent très jeunes, NDLR) et voue un culte à la beauté artificielle et contrôlée."
Après un virage, nous voilà maintenant dans une rue japonaise typique, quoiqu’à l’instar de celles d’Ito, on la devine hantée par des fantômes et des esprits malfaisants. "Il met en scène une horreur issue des légendes urbaines, de la tradition et des jeux d’enfants immémoriaux. Qu’elles soient urbaines ou rurales, il réinvente ces superstitions qu’au Japon tout le monde connaît, comme le jeu de l’oracle par exemple."
Puis, après un ultime passage sur l’horreur dantesque et cyclopéenne d’un Ito apocalyptique proche de Lovecraft, du Mesnildot nous fait découvrir les deux dernières parties de l’exposition dédiées aux deux œuvres les plus emblématiques de l’auteur : Spirale et Tomi. Et comme souvent avec le maître, l’expérience se passe de mots.
Parmi les innombrables expositions qu’a accueilli en 50 ans le FIBD, Dans l’Antre du Délire est dans le haut du panier. Les planches exposées sont absolument sublimes, et pouvoir découvrir de ses propres yeux le génie d’Ito, la virtuosité de son trait et la puissance de son esthétique est une chance inouïe qui justifierait à elle seule l’exposition. La mise en scène est également réussie, parvenant assez bien à nous immerger dans les ambiances voulues sans l’effet "carton-pâte" qu’on voit souvent sur ces types de décors.
On regrettera peut-être un poil la timidité de l’analyse proposée, l’exposition se voulant surtout démonstrative plutôt que réflexive, mais ne boudons pas notre plaisir : aller au FIBD 2023 sans visiter Dans l’antre du délire, c’est rater son FIBD 2023.
(par Jaime Bonkowski de Passos)
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Crédits photos : © Jaime Bonkowski De Passos / Stéphane Grobost / Pierre-Alain Aignan.
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