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Frank Le Gall, premier Grand Prix de l’Académie Victor Rossel

Par Charles-Louis Detournay le 7 mai 2019                      Lien  
Fini les Prix Diagonale ! Ils cèdent leur place aux nouveaux Prix Victor Rossel de la bande dessinée. Leur premier palmarès oriente ces nouvelles récompenses vers les jeunes auteurs (Max de Radiguès, Mathieu Burniat...), tout en consacrant le créateur de "Théodore Poussin", Frank Legall.

Depuis douze ans, les Prix Diagonale ont monté en puissance, pour devenir un acteur incontournable du paysage de la bande dessinée belge, tout en cherchant à briller sur le plan international.

Frank Le Gall, premier Grand Prix de l'Académie Victor Rossel
Bernard Yslaire
Photo : Charles-Louis Detournay.

Imaginés initialement par Jean Dufaux, le journaliste Daniel Couvreur et l’élu David da Câmara (Échevin de la culture à la ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve), l’événement a opéré une mutation sous la nouvelle présidence de Bernard Yslaire : instauration d’une parité du Grand Prix, changement de nom, partenariat avec les Prix Victor Rossel... L’auteur de Sambre nous en avait expliqué le principe dans nos pages.. En voici quelques extraits : "Le terme de « Diagonale » ne représentait pas grand-chose d’intelligible, pour la profession comme pour le public. J’ai eu précédemment la chance d’être le parrain du Prix Victor-Rossel, un prix prestigieux récompensant une œuvre littéraire belge, que les Français présentent comme le « Prix Goncourt belge ». J’ai donc proposé de donner un pendant BD à ce prix de littérature en instituant le Prix Victor-Rossel de la bande dessinée.

Outre le rattachement à un prix prestigieux, cela démontre également notre lien vivace avec le quotidien Le Soir, car le Prix Victor-Rossel a été créé par ce quotidien, et son fondateur, en 1938. Tout en garantissant l’indépendance de notre jury, devenu une Académie : nous avons en effet signé une convention tripartite entre l’Académie française de Belgique, le Prix Victor-Rossel et la ville de Louvain-la-Neuve. C’est la première fois qu’un prix de littérature s’ouvre à la bande dessinée, ce qui est déjà une belle reconnaissance.

Mais nous allons reproduire le modèle du Victor-Rossel : ainsi, chaque année, après la proclamation du prix à Louvain-la-Neuve et la remise des prix sous forme de spectacle, il y aura une deuxième présentation des lauréats, doublée d’un débat à Paris, à la maison de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans les semaines qui suivent. Nous avons tous des valeurs à défendre, et nous voulons nous rassembler pour les faire vivre en commun."

La photo de famille de l’Académie 2017 mériterait une actualisation...
Photo : Charles-Louis Detournay

L’Académie des Prix Victor Rossel se compose toujours des précédents Grand Prix (ex-) Diagonale, à savoir Jean Dufaux, Jean Van Hamme, Raoul Cauvin, Hermann, Dany, Cosey, Étienne Davodeau, Maryse & Jean-François Charles, Jean-Claude Servais, François Walthéry, Philippe Berthet, Philippe Geluck, Catel, Daniel Couvreur et Bernard Yslaire.

Par souci de clarté, ces prix octroient toujours trois récompenses : le meilleur album, la meilleure série et le Grand Prix pour l’ensemble de son œuvre. Toutefois, pour la première fois, un quatrième prix a été instauré en collaboration avec la SCAM, la Société civile des auteurs multimédia qui gère les droits d’auteur : tous les prix sont dotés d’une bourse de 2000 €, à l’exception de la Mention spéciale donnée en collaboration par l’Académie et la SCAM qui octroie un prix de 2500 €.

Sans plus attendre, voici les lauréats de cette première promotion :

Prix Victor Rossel du meilleur album BD : Trap, de Mathieu Burniat (Dargaud)

Après avoir abordé la gastronomie, la physique quantique, Internet et les secrets de la mémoire, Mathieu Burniat publie a publié Trap chez Dargaud où il aborde avec humour la place de l’homme face à sa propre animalité. C’est tonique, intelligent et bien enlevé et oui, beau à tout prendre. Nous ne manquerons pas d’y venir un de ces jours. Mathieu Burniat constitue sans aucun doute l’un des nouveaux talents belges les plus prometteurs.

Prix Victor Rossel de la meilleure série : Stig et Tilde, de Max de Radiguès(Sarbacane)

Donnant leurs prénoms à cette série de deux tomes parus à six mois d’intervalle l’année dernière, Stig et Tilde sont des jumeaux de 14 ans. Depuis des générations, le kulku est un rite de passage dans leur ville de Scandinavie : les adolescents quittent leur parents pour passer un mois en compagnie d’autres jeunes, seuls sur une île.

Le séjour est bien organisé, mais pris dans une tempête, les jumeaux s’échouent sur la mauvaise île. Pendant que Stig fait de son mieux pour remettre leur bateau à flot, Tilde explore l’île et découvre d’étranges têtes de bois sculptées. À l’insu de son frère, elle entre en contact avec le mystérieux sculpteur, qui n’est autre qu’un fantôme, mort lors de son propre kulku. Et les loups rôdent...

Stig et Tilde - Max de Radiguès - Sarbacane

"Max de Radiguès renouvelle le thème de la survie sur une île déserte en plaçant l’intrigue dans un archipel nordique, explique notre collaboratrice Lise Lamarche23692. Découverte de l’île et nombreux coups de théâtre incitent à dévorer ce tome, plus riche que le précédent dans l’intrigue et les décors. Plus chanceux que débrouillards mais toujours courageux, nos héros parviennent à se tirer de situations cocasses ou plus tragiques."

Stig et Tilde assaillis par les loups

"Le dessin est dynamique et clair, bien adapté à un jeune public, continue-t-elle. Des cases sans décor mettent en avant les sentiments des personnages, le suspense est ménagé à chaque fin de page. Mais le plaisir de cet album réside particulièrement dans les superbes paysages imaginés par l’auteur, qui interpellent enfants comme adultes. Ce deuxième tome est une bonne surprise, bien plus intéressant selon nous que le premier, qui était cependant déjà en lice dans la catégorie jeunesse du festival d’Angoulême."

La nature sauvage fait rêver

Avec près d’une vingtaine d’albums en douze ans de publications, le travail de Max de Radiguès est donc salué par ses pairs, une récompense qui suit le Prix polar SCNF 2018 pour son road-movie burlesque intitulé Bâtard. Le style de l’auteur se caractérise par une mise en page assez formalisée (souvent un gaufrier) accompagné d’un trait clair et simple. Cette lisibilité soulève pourtant de réelles questions de fond, qu’elles soient liées à l’adolescence (un thème transversal dans son œuvre) ou à la société de manière générale.

Max de Radiguès
Photo : M. Di Salvia

Voici ce que Max de Radiguès expliquait précédemment au micro de Thierry Lemaire :« J’aime bien dire des trucs avec peu de choses. Déjà, j’ai un dessin qui tend vers la simplicité. A la base, c’est parce que je n’ai pas un grand niveau de dessin. J’apprends un peu à dessiner au fur et à mesure. Du coup, j’aime bien qu’on comprenne beaucoup de choses sur ce qui se passe sans que j’en montre beaucoup. J’avais remarqué ça quand j’ai fait "L’âge dur". Je crois qu’il y a seulement trois cases avec du décor. Et deux personnes m’ont dit « c’est génial, ça ressemble trop à mon lycée ! » (rires) « Mais comment ça peut ressembler à ton lycée ? Il n’y a pas de décor ! » Donc, j’aime bien faire participer le lecteur. Je donne très peu de clés, et plus j’avance, plus je me rends compte que je peux faire confiance au lecteur. »

"Bâtard", par Max de Radiguès

Que cela soit pour Max de Radigès ou Mathieu Burniat, on ressent que la nouvelle Académie des Prix Victor Rossel a décidé de se distinguer des précédentes promotions. Alors que ces dernières saluaient souvent des auteurs plus âgés, et des séries au long cours, les prix 2019 s’orientent vers la nouvelle génération. Une volonté d’attirer l’œil du public vers des créations tout aussi méritantes mais au succès plus confidentiel.

Mention spéciale du jury de l’Académie et du comité belge de la SCAM pour l’innovation en BD : Collection de La Petite Bédéthèque des Savoirs (Le Lombard)

"L’Intelligence artificielle" par Jean-Noël Lafargue & Marion Montaigne, Le Lombard

En collaboration avec la SCAM, la Société civile des auteurs multimédia qui gère les droits d’auteur, l’Académie a donc choisi d’honorer la collection du Lombard et dirigée par David Vandermeulen : La Petite Bédéthèque des Savoirs.

Partant du constat que le champ immense des sciences humaines et de la « non-fiction » est actuellement l’un des domaines de prédilection de la bande dessinée, que se multiplient les entreprises de vulgarisation scientifique en bande dessinée et de BD reportage, La petite Bédéthèque des Savoirs a décidé de frapper un grand coup en tentant de concrétiser un projet englobant la totalité des domaines de la connaissance humaines : science, histoire, philosophie, littérature, droit, géographie, technique, zoologie, économie, théologie... Mais aussi des thèmes plus actuels, tels que la pop culture ou les questions de société ! Un peu comme un Que Sais-je ? de la bande dessinée.

David Vandermeulen
Photo : D. Pasamonik

« Avec la Revue Dessinée, on a pu prouver qu’il y a un nouveau public qui n’est pas nécessairement intéressé par le divertissement, explique David Vandermeulen, le directeur de la collection La Petite Bédéthèque des Savoirs. Le gros pari de la collection est donc d’ouvrir le champ de la bande dessinée. En effet, depuis ces dernières années, l’offre en bande dessinée s’est multipliée par cinq, mais ce n’est malheureusement pas le cas du lectorat. Il faut donc conquérir de nouveaux publics, et la dernière Terra incognita est la bande dessinée de savoir et de sciences humaines. »

En trois ans d’existence, c’est déjà le 28e tome qui vient de paraître cette semaine. La collection aborde donc des sujets aussi divers que variés, avec une grande liberté de ton et de forme, tout en rassemblant un échantillon extrêmement large d’auteurs. Ce prix vient couronner une initiative salutaire et courageuse de faire entrer la bande dessinée dans un courant pédagogique abouti et tout public.

"L’Univers" par Hubert Reeves & Daniel Casanave, Le Lombard

Grand Prix de l’Académie Victor Rossel de Bande Dessinée : Frank Le Gall (pour l’ensemble de son œuvre)

Rappelons que son auteur Frank Le Gall a imposé son héros grâce au rythme soutenu de dix tomes en dix ans (de 1987 à 1997) [1], avant d’espacer un peu plus les tomes suivants. Sa carrière ne se limite d’ailleurs pas à son célèbre héros bourlingueur, Frank Le Gall a signé de nombreux autres albums, en collaboration entre autres avec Lewis Trondheim et Flore Balthazar. Même si c’est bien entendu Théodore Poussin qui vient directement à l’esprit !!

Du découpage au dessin, tout l’art de Frank Le Gall se place au service de son récit, et surtout de ses personnages. Et la magie opère : le charme de ses protagonistes, l’aventure orientale de l’entre-deux guerres, et surtout la personnalité de Théodore Poussin, toujours équilibrée par celle de Barthélémy Novembre, séduisent.

Son dernier opus publié l’année dernière ne faisait heureusement pas exception à la règle. Grâce à ses soixante-deux pages, le récit présente d’attachants ou mystérieux personnages secondaires, comme cette intrigante dominatrice, ou ce Malais mi-terrifiant, mi-amusant. Après une succession de scènes et de répliques tantôt sensibles, tantôt pleines de second degré ou de sous-entendus, mais toujours placées sous le signe de l’humour, le récit s’accélère dans une conclusion dont personne ne sort indemne. Surtout pas le lecteur ! Car, à l’image de son héros, Frank le Gall demeure unique en son genre.

Une planche noire et blanche tirée de la prépublication en cahiers indépendants.

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire les chroniques de la série Stieg et Tilde : tome 1 et tome 2

Lire deux interviews de Max de Radiguès : "Les ados ne sont pas juste des gens avec des boutons, mal habillés et qui n’ont rien dans le cerveau." et « Dans "L’Âge dur", j’essaie de retrouver l’ambiance et l’état de l’adolescence. »

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[1La série Théodore Poussin débute en 1984 dans Le Journal Spirou avec les premières pages du Capitaine Steene.

 
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2 Messages :
  • Jolie brochette d’auteurs belges de talentIl faut faire le maximum pour promouvoir cette sélection qui contraste agréablement avec celle du FIBD, où les Belges ne semblent pas trop appréciés, sans doute à cause de leur grand professionalisme, du coté tout public de leurs albums, et aussi de leur succés en librairie qui ne doit rien à la hype branchouille.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Alfred Nobel le 19 mai 2019 à  21:42 :

      Le grand retour d’Onc’ François !

      Répondre à ce message

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