Quelle mouche a donc piqué Dupuis ? Ce 56e opus de la série régulière de Spirou, un personnage créé par Rob-Vel en 1938 mais dont la collection d’albums est devenue un classique grâce au génie d’André Franquin, fait mourir le héros au costume de groom pour introduire un nouveau duo, plus dans l’air du temps. L’idée est brillante : redonner du sens aux Aventures de Spirou et Fantasio. Heu, oui, mais sans Spirou...
Autant le titre, La Mort de Spirou, relève de l’évident coup éditorial, autant la direction que prend la série intrigue.
On y voit un directeur de l’entreprise s’adresser à ses actionnaires, puis à une foule de journalistes, travailler dans l’urgence. Spirou est mort, vive Spirou. Spirou est mort, mais le corps du roi de la BD de l’École de Charleroi, se réincarne dans une version idéalisée qui constituerait la synthèse -les mots sont de Stéphane Beaujean, « entre l’École de Marcinelle (ou de Charleroi, entendez : celle de Franquin et de Jijé) et l’École de Bruxelles (entendez : celle d’Hergé) ». Bref, la quintessence du classicisme.
L’album est là pour faire la transition vers cette nouvelle ligne éditoriale. Olivier Schwartz succède brillamment à Yoann au dessin de la série régulière et il ne faut pas moins d’un duo de scénaristes : Sophie Guerrive et Benjamin Abitan pour donner le change à Vehlmann. Une stratégie qui associe la ligne Sixties de Schwartz et la modernité de deux scénaristes sevrés aux sujets contemporains, lesquels ne s’étaient jamais frottés à l’expérience de la grande BD Franco-belge commerciale (un Spirou, c’est jusqu’à 100 000 ex., quand même).
Et de la modernité, cet album n’en manque pas : Fantasio entonne des harangues militants contre le tourisme de masse, les multinationales et la consommation sans conscience ; le scénario intègre de l’argot, affiche son héros nu et met en vedette des femmes fortes sans les sexualiser.
Champignac est à ce stade cantonné à un rôle de Major Boothroyd (le Mr Q de James Bond), tandis que Zorglub est piégé par sa propre invention (la zorglonde) pour se retrouver dans une bulle virtuelle et s’ébrouer dans des bains de foules qui évoquent les rassemblements nazis de Nuremberg. On y aurait mieux vu Zantafio, mais bon.
L’ADN de Franquin est toujours là : c’est celui -canonique- du Repaire de la Murène, Mamzelle Jeanne, Lebrac et même Gaston (tiens, tiens...) y font de la figuration.
Où tout cela nous mène-t-il ? À un enterrement de première classe ou à une résurrection ? À une palingénésie probablement. Spirou va-t-il finir par s’enrhumer à force de s’exposer ainsi à l’air du temps ? La réponse est forcément dans les prochains épisodes.
(par Kelian NGUYEN)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
La Mort de Spirou - Par Sophie Guerrive, Benjamin Abitan et Olivier Schwartz - Éditions Dupuis.
La Mort de Spirou sur ActuaBD :
[PODCAST] La rentrée BD chez Dupuis : Spirou est mort, EVIV UORIPS !
Spirou nu !!
Participez à la discussion