L’année 2020 devait, pour la bande dessinée, être celle de tous les honneurs. Elle l’a été d’une certaine manière puisque l’on a vu des institutions prestigieuses s’intéresser à la bande dessinée pour la première fois : le Collège de France, la Villa Médicis, l’Académie des Beaux-Arts de Paris qui a accueilli, fait historique, une autrice de bande dessinée comme membre (Catherine Meurisse). Mieux encore : l’historien Pascal Ory, figure des « cultural studies » à la française, un des rares universitaires à avoir écrit abondamment sur la bande dessinée, a été élu au 32e fauteuil de l’Académie française. Même le Président Macron avait honoré de sa présence (dans des conditions un peu Rock ‘n Roll, on s’en souvient) le Festival International de la bande dessinée à Angoulême en janvier 2020.
Et si on inventait le #airselfie ? pic.twitter.com/zIWBY88QiH
— lewistrondheim (@lewistrondheim) January 30, 2020
Mais las, après avoir fait le kéké avec le Président Macron avec force selfies sur Twitter, peut-être en raison de cette action pas très bien reçue par ses camarades auteurs, Lewis Trondheim rebondit sur la soirée des César où la comédienne Corinne Masiero s’était dénudée pour illustrer combien, en raison de la pandémie, le théâtre et le cinéma étaient « à poil », le même Trondheim profite de sa notoriété et de ses 40 000 followers sur Twitter pour attaquer le ministère de la culture qui vient de publier une série de mesures en faveur des auteurs sans même prendre soin de convoquer les instances syndicales.
L’incroyable spectacle
En showman assumé, Lewis Trondheim, estime que « les auteurs sont saignés à blanc par ce gouvernement » lequel enterre la plupart des préconisations du Rapport Racine « enterré totalement », en raison, selon lui, de l’action du « lobby » des éditeurs, le Syndicat National de l’Édition. Par conséquent, il a décidé de rendre, avec un certain sens de la mise en scène, sa décoration à ce qu’il surnomme « ministère de l’inculture » : « Suite à tous les affronts du ministère et du gouvernement concernant le non-statut professionnel des artistes-auteurs, je rends la médaille de chevalier des arts et lettres. Je sais que je ne suis pas connu, que c’est très certainement inutile. Mais bon, je trie mes déchets pour sauver la planète. Je continue à trier les déchets en jetant le ministère de la culture. » Il ajoute : « On ne veut pas d’argent, on ne veut pas de vacances. On veut un statut de professionnels pour récolter ce pour quoi on cotise »,
Bonjour. J'ai fait ce matin une petite vidéo, trop longue pour être mise directement ici. Il y a très choses importantes dites, mais aussi des gags. N'ayez pas peur 😬. @MinistereCC #pasmonministere https://t.co/7D39KEsheR
— lewistrondheim (@lewistrondheim) March 16, 2021
S’ensuit un véritable spectacle où il met en scène le renvoi de sa médaille en se tailladant (faussement on vous rassure) les veines. C’est sûr qu’avec un tel show, même s’il n’est « pas connu » [sic], Lewis Trondheim tient là un quart d’heure de célébrité qui vaut bien celui de l’incarnation du Capitaine Marleau.
Un rapport problématique
Conscient aussi que la population des auteurs de BD (3000 autrices et auteurs au plus) pèse peu dans une décision de réforme complexe, celui du statut des auteurs, Trondheim se pose habilement en représentant des « 270 000 personnes, des cinéastes, des sculpteurs, des plasticiens, des écrivains, des photographes, etc. »
Le rapport Racine, on s’en rappelle, contenait 23 recommandations préconisant un assouplissement des situations sociales et fiscales des auteurs, la création d’une instance renforcée de la représentation des auteurs (un Conseil national et une délégation aux auteurs au Ministère de la culture), un renforcement des droits des auteurs vis-à-vis des diffuseurs, une simplification de la relation des auteurs avec les administrations, et un soutien pour la diffusion de leurs œuvres en France et à l’étranger. TÉLÉCHARGER L’INTÉGRALITÉ DU RAPPORT RACINE
Le Rapport avait été favorablement accueilli par le SEA (Syndicat des éditeurs alternatifs) qui y voyait une reconnaissance de la précarité des auteurs, et qui abondait dans la préconisation d’un « droit d’auteur de 10% minimum et de 50 % en cas d’édition numérique, droits qui ne devraient jamais être cédés sans limitation de temps ». Il avait notamment mis en évidence le dysfonctionnement du système de protection des auteurs en France, ce qui entraîna une réforme radicale de ces instances dans les mois qui suivirent sa publication.
Le Ministère de la Culture, entre le feu des éditeurs et celui des auteurs, confia le Rapport Racine au professeur de droit Pierre Sirinelli, spécialiste du droit d’auteur et à la juriste Sarah Dormon, spécialiste de la propriété intellectuelle, pour en déterminer les applications. Leur rapport (décembre 2020) vida pour ainsi dire le Rapport Racine de sa substance. TÉLÉCHARGER L’INTÉGRALITÉ DU RAPPORT SIRINELLI-DORMONT
D’où la colère des auteurs qui rejoint celle des comédiens et des professionnels du cinéma dans une séquence qui doit être pour le gouvernement une sorte de soulèvement des « Gilets jaunes de la culture. »
Trondheim coutumier des coups d’éclats
Nous ne sommes pas surpris par cette tonitruante mise en scène. Lewis Trondheim, Grand Prix d’Angoulême en 2006, avait déclaré à cette occasion qu’il n’aimait pas certains journalistes (« Le Monde, c’est caca ! », avait-il déclaré et il n’accorde plus d’interviews à ActuaBD, certaines de nos critiques lui ayant déplu). Il en profita pour faire évincer Michel-Édouard Leclerc des sponsors du Festival d’Angoulême, ce qui fragilisa l’institution et, devenu pleinement membre de l’Académie des Grands-Prix d’Angoulême, il s’employa à la saborder joyeusement. Cela ne l’avait pas empêché de recevoir auparavant l’insigne des Arts et lettres en 2005 sous le ministère de Donnedieu de Vabres (gouvernement Raffarin). C’est cette médaille qu’il rend, quelque peu teintée de rouge, aujourd’hui.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Lewis Trondheim. Captures d’écran.
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