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"Un Général, des généraux" par Boucq & Junker : une farce grandiose qui nous rappelle qui était le Général de Gaulle

Par Thelma SUSBIELLE Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 19 janvier 2022                      Lien  
Le putsch d'Alger de mai 1958, une tentative de coup d'état qui fait tomber la IVe République, précipite le retour au pouvoir du général de Gaulle et l'avènement de la Ve République dans le contexte d'une situation politique déliquescente. En quelques semaines, tout bascule. L’album fait le récit de ce mois de mai hors normes, un de ces moments où la démocratie qui se croit à l'abri de ses petites intrigues parlementaires manque de tout perdre en raison des ambitions de quelques militaires bas de plafond qui pensent sauver la nation. Ce processus est merveilleusement décrit dans cet album qui se résume par ce dialogue authentique entre Charles de Gaulle et le général Massu qui a trempé dans cette affaire grotesque : "- Alors, Massu, toujours aussi con?" "- Ah oui, toujours gaulliste, mon général !"

Grand Prix d’Angoulême, François Boucq est l’un des dessinateurs contemporains les plus importants à nos yeux, insuffisamment considéré. Il a récemment mis en images le procès des attentats de janvier 2015.

Nicolas Juncker est, quant à lui, un habitué des récits historiques en BD. Après s’être intéressé à François Fouché, figure de la Révolution Française servant aussi bien l’Empire que la Restauration, et à Marie-Stuart et Elisabeth Tudor dans La Vierge et la Putain, il avait raconté dans le Berlin de 1945 dans Seules à Berlin, le destin de trois femmes seules contre tous alors que la ville est conquise par l’armée russe.

Ce one-shot s’ouvre sur un général de Gaulle alors retraité (il avait été écarté des affaires de l’état juste après la Libération), en rendez-vous avec son tailleur. En essayant son costume, il fait ce grand geste en forme de V aujourd’hui bien connu. On le suit tout au long de l’album et, dans les premières pages, sa vie d’oisif mutique contraste avec l’action enfiévrée qui se déroule dans la capitale et en Algérie avec des officiers qui, comme le général Massu quelques années plus tôt, ont pour la plupart été sous ses ordres.

"Un Général, des généraux" par Boucq & Junker : une farce grandiose qui nous rappelle qui était le Général de Gaulle

Le 13 mai, en France, Félix Gaillard s’apprête à laisser la place de Président du Conseil à Pierre Pflimlin. Pendant ce temps-là, à Alger, l’heure est à l’insurrection. Les Français d’Algérie entendent les rumeurs de plus en plus persistantes d’une indépendance accordée aux Algériens. Ils n’en veulent en aucun cas. Le général Massu, avec sa troupe de parachutistes, apprécié par les Algérois car il a maté la rébellion des indépendantistes avec succès et avec une rare violence, est mêlé à un « comité révolutionnaire » sans que l’on sache trop si c’est pour mieux les contrôler ou parce qu’il est passé du côté des séditieux. De cette manière peut-être, il pense maîtriser l’insurrection. Mais le général Salan, son supérieur, n’est pas de cet avis et refuse d’abdiquer.

Le coup d’État est avéré officiellement le 14 mai. Le nouveau président du Conseil, Pflimlin, confère les pleins pouvoirs au général Salan pour rétablir la situation. Salan comme Massu sont gaullistes et souhaitent le retour du héros de la Seconde Guerre mondiale pour sortir de cette situation de chienlit. Mais le grand homme n’arrive pas...

Pendant ce temps, à l’Assemblée, c’est l’affrontement entre les partisans de l’Algérie française et ceux de l’indépendance. À Paris, dans les rues, les manifestations se succèdent. Dangereuses, violentes.

Et puis, retournement de situation dans les hautes sphères : Pflimlin change d’avis et annule les pleins pouvoirs de Salan, qui rejoint alors le camp des putschistes le 15 mai.

À ce moment-là, le général de Gaulle, toujours aussi mutique, publie une lettre dans laquelle il dit se tenir « prêt à assumer les pleins pouvoirs de la République ». La gauche crie à la dictature.

Le 16 mai, après un attentat qui a détruit la maison du président Pflimlin, l’état d’urgence est déclaré par l’Assemblée : le vote est gagné grâce à l’adhésion des communistes (contre De Gaulle). Le socialiste Guy Mollet, Vice-Président du conseil, en voulant mettre De Gaulle au pied du mur, l’invite à gouverner s’il remplit trois conditions : soutien de l’action du gouvernement, condamnation des factieux d’Algérie, présentation d’un programme politique devant l’Assemblée.

De Gaulle annonce qu’il parlera le 19 mai à la télévision, ce qu’il fait... pour ne rien dire. Pendant ce temps, les putschistes prennent la décision de débarquer en Corse et de remonter vers Paris, comme l’Empereur au début des cent jours. La manœuvre échoue piteusement. Des conversations entre De Gaulle et Pflimlin aboutissent à une démission, un peu provoquée, du Président du Conseil. La voie est libre pour l’Homme du 18 juin.

Le vote pour l’investiture du Général de Gaulle a lieu le 3 juin, après qu’il ait été nommé le 1er juin président du Conseil par le président Coty, le général se rend en Algérie. C’est la fameuse séquence du « Je vous ai compris »

Avec un incroyable brio, Boucq et Junker réussissent à transposer très finement cet épisode complexe en une farce grotesque (on pense, dans le même registre, à La Mort de Staline de Fabien Nury), une pièce noire avec comme protagonistes des généraux imbéciles, certes d’excellents soldats, mais bas de plafond et par conséquent dangereux. Le génie de caricaturiste de François Boucq se déploie à chaque case : il saisit la personnalité de chacun des protagonistes avec une justesse et une précision ahurissantes. Seul François Mitterrand semble croqué un peu mollement.

À l’heure où le moindre politique, à droite comme à gauche, se réclame du général De Gaulle, et où un galonné retraité sert de directeur de campagne à un candidat de l’extrême droite, on ressort de cet album, farce grandiose, avec cette conviction : l’armée est une chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls militaires.

(par Thelma SUSBIELLE)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Code EAN : 9782808203630

Un Général des généraux – Par Boucq et Junker – Le Lombard – 144 pages – 22,50€ - Sortie le 21 janvier 2022

Le Lombard ✍ Nicolas Juncker ✏️ François Boucq à partir de 10 ans Histoire France
 
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3 Messages :
  • En effet, l’arrivée d’un haut gradé parmis l’un des candidats à la présidentielle, n’augure rien de bon sur la ligne sécuritaire qui sera adoptée. Si seulement la BD pouvait permettre au public d’ouvrir les yeux avant les élections. Il faudrait plus d’albums comme celui-ci, car la force de la BD, et de savoir retranscrire l’Histoire en la rendant accessible au plus grand nombre. Immense Boucq, auteur à la carrière protéiforme et injustement "oublié" des médias mais pas du public.

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  • On rappellera à toute fins utiles, qu’à l’époque on était en quasi guerre civile larvée, même si nos parents et grand parents l’ont oublié, comme d’ailleurs toute la guerre froide.

    Donc voilà des éléments de base. Le PCF a mené une action contre la France, en intelligence avec l’URSS, à la vue et au su de tous, tous les crimes de hautes trahisons ont été absous par des lois d’amnistie avec une clause de nettoyage du casier interdisant longtemps même d’évoquer les impliqués sous peine de poursuites en diffamation, bien sûr on l’a donné à nos généraux, mais pour eux y’a jamais vraiment eu cette clause active. Qui sont retrouvables sur Légifrance.

    Dans le tas des motifs, le PCF (dont une partie se retrouvent dans leurs archives en ligne, qu’ils ont filé à la chute du mur quand ils ont dit officiellement adieu aux valeurs de l’urss), ont sait :
    - qu’ils ont fait une alliance secrète avec l’URSS le court temps où elle a été au pouvoir au sortir de la guerre,
    - qu’au délà que Staline en cas de guerre ne prévoyait pas d’attaquer la France car il pensait que le PCF prendrait le pouvoir (donc imaginez déjà la défiance avec tous les généraux plus ou moins au courant de ça),

    Déjà si vous êtes général, vous avez un problème, surtout quand vous n’êtes pas pro-communiste, comme se le disait le bloc de l’est.

    - a organisée aussi des sabotages et de l’espionnage au nom du décolonialisme (mais à garder en tête qu’aucun état décolonisé n’a gardé de bons souvenirs d’eux, que l’URSS faisait de la colonisation mais se gardait bien d’en parler),
    - elle a tenue des camps de prisonniers en infligeant des sévices aux militaires (dont certains généraux qui y sont allés, n’en n’ont pas gardé un bon souvenir),
    - Dien Bien Phu est tombé en partie parce que le PCF a fait fuité les plans (ils ont aussi saboté des parachutes), il n’y avait pas que l’incompétence, qu’on aime bien mettre en avant sans connaître le plan.

    Au bout d’un moment, c’était prévisible qu’une armée qui se bat façon Rambo 1, avec une partie de la France dans le dos (pas plus de 25% donc même pas de quoi justifier un tel comportement), ouvertement pro-soviétique (dont le parti en cause et la cgt ont je le rappelle, à cette époque, ont des caches d’armes... pour le "grand soir"), que ça finisse par poser problème à l’armée (enfin l’armée d’active, parce que les conscrits c’est autre chose).
    Ca allait forcément finir par se révolter, on remarquera que ça aura pris tout de même 13 ans, avant que ça finisse par éclater.

    Puis ces généraux ont grandit en entendant que tel ou tel machin c’est la France et que surtout pour des questions économiques et militaires que tel ou tel machin représente une nécessité pour la défense contre l’Allemagne, puis l’URSS, les mecs c’était évident qu’après l’Indochine ils partent en live en voyant une énième Indochine arrivée, déjà pendant l’Indochine ça avait finie par arriver...

    Par contre ce qui est inquiétant dans cette période, c’est que toutes les petites choses pardonnées au PCF font jurisprudence dans notre droit actuel, vous vouliez une société apaisée qui discute de ses problèmes ? Mais pourquoi faire quand y’a des jurisprudences et des pardons politiques ? Mais peut être que la bd permettra de parler de certaines choses comme le fait de pardonner des traites et des traites qui n’étaient même pas communistes comme l’OAS (dernière tendance actuelle, je comprend rien, y’a aucune explication sur la volonté de telles choses...), même si ça sera pas un best seller, peut être qu’il y’aura des débats sur le droit et ce nouveau concept de pardon...

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    • Répondu le 3 février 2022 à  15:43 :

      Vous pourriez vous relire avant de poster ce type de pensum ? Je l’ai lu 3 fois et je n’arrive toujours pas à comprendre si vous cherchez à excuser le putsch des généraux ou pas et avec quels arguments pro-OAS ou quoi ou qu’est-ce… Le moindre complotiste anti-vax qui sévit sur les réseaux sociaux en ce moment est plus clair que vous.

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