Grand Prix d’Angoulême, François Boucq est l’un des dessinateurs contemporains les plus importants à nos yeux, insuffisamment considéré. Il a récemment mis en images le procès des attentats de janvier 2015.
Nicolas Juncker est, quant à lui, un habitué des récits historiques en BD. Après s’être intéressé à François Fouché, figure de la Révolution Française servant aussi bien l’Empire que la Restauration, et à Marie-Stuart et Elisabeth Tudor dans La Vierge et la Putain, il avait raconté dans le Berlin de 1945 dans Seules à Berlin, le destin de trois femmes seules contre tous alors que la ville est conquise par l’armée russe.
Ce one-shot s’ouvre sur un général de Gaulle alors retraité (il avait été écarté des affaires de l’état juste après la Libération), en rendez-vous avec son tailleur. En essayant son costume, il fait ce grand geste en forme de V aujourd’hui bien connu. On le suit tout au long de l’album et, dans les premières pages, sa vie d’oisif mutique contraste avec l’action enfiévrée qui se déroule dans la capitale et en Algérie avec des officiers qui, comme le général Massu quelques années plus tôt, ont pour la plupart été sous ses ordres.
Le 13 mai, en France, Félix Gaillard s’apprête à laisser la place de Président du Conseil à Pierre Pflimlin. Pendant ce temps-là, à Alger, l’heure est à l’insurrection. Les Français d’Algérie entendent les rumeurs de plus en plus persistantes d’une indépendance accordée aux Algériens. Ils n’en veulent en aucun cas. Le général Massu, avec sa troupe de parachutistes, apprécié par les Algérois car il a maté la rébellion des indépendantistes avec succès et avec une rare violence, est mêlé à un « comité révolutionnaire » sans que l’on sache trop si c’est pour mieux les contrôler ou parce qu’il est passé du côté des séditieux. De cette manière peut-être, il pense maîtriser l’insurrection. Mais le général Salan, son supérieur, n’est pas de cet avis et refuse d’abdiquer.
Le coup d’État est avéré officiellement le 14 mai. Le nouveau président du Conseil, Pflimlin, confère les pleins pouvoirs au général Salan pour rétablir la situation. Salan comme Massu sont gaullistes et souhaitent le retour du héros de la Seconde Guerre mondiale pour sortir de cette situation de chienlit. Mais le grand homme n’arrive pas...
Pendant ce temps, à l’Assemblée, c’est l’affrontement entre les partisans de l’Algérie française et ceux de l’indépendance. À Paris, dans les rues, les manifestations se succèdent. Dangereuses, violentes.
Et puis, retournement de situation dans les hautes sphères : Pflimlin change d’avis et annule les pleins pouvoirs de Salan, qui rejoint alors le camp des putschistes le 15 mai.
À ce moment-là, le général de Gaulle, toujours aussi mutique, publie une lettre dans laquelle il dit se tenir « prêt à assumer les pleins pouvoirs de la République ». La gauche crie à la dictature.
Le 16 mai, après un attentat qui a détruit la maison du président Pflimlin, l’état d’urgence est déclaré par l’Assemblée : le vote est gagné grâce à l’adhésion des communistes (contre De Gaulle). Le socialiste Guy Mollet, Vice-Président du conseil, en voulant mettre De Gaulle au pied du mur, l’invite à gouverner s’il remplit trois conditions : soutien de l’action du gouvernement, condamnation des factieux d’Algérie, présentation d’un programme politique devant l’Assemblée.
De Gaulle annonce qu’il parlera le 19 mai à la télévision, ce qu’il fait... pour ne rien dire. Pendant ce temps, les putschistes prennent la décision de débarquer en Corse et de remonter vers Paris, comme l’Empereur au début des cent jours. La manœuvre échoue piteusement. Des conversations entre De Gaulle et Pflimlin aboutissent à une démission, un peu provoquée, du Président du Conseil. La voie est libre pour l’Homme du 18 juin.
Le vote pour l’investiture du Général de Gaulle a lieu le 3 juin, après qu’il ait été nommé le 1er juin président du Conseil par le président Coty, le général se rend en Algérie. C’est la fameuse séquence du « Je vous ai compris »
Avec un incroyable brio, Boucq et Junker réussissent à transposer très finement cet épisode complexe en une farce grotesque (on pense, dans le même registre, à La Mort de Staline de Fabien Nury), une pièce noire avec comme protagonistes des généraux imbéciles, certes d’excellents soldats, mais bas de plafond et par conséquent dangereux. Le génie de caricaturiste de François Boucq se déploie à chaque case : il saisit la personnalité de chacun des protagonistes avec une justesse et une précision ahurissantes. Seul François Mitterrand semble croqué un peu mollement.
À l’heure où le moindre politique, à droite comme à gauche, se réclame du général De Gaulle, et où un galonné retraité sert de directeur de campagne à un candidat de l’extrême droite, on ressort de cet album, farce grandiose, avec cette conviction : l’armée est une chose trop sérieuse pour être confiée aux seuls militaires.
(par Thelma SUSBIELLE)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Un Général des généraux – Par Boucq et Junker – Le Lombard – 144 pages – 22,50€ - Sortie le 21 janvier 2022
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