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Les Prix Atomium 2021 récompensent la curiosité et la diversité

Par Charles-Louis Detournay le 10 septembre 2021                      Lien  
Faisant office de cérémonie d'ouverture de la Fête de la BD 2021 de Bruxelles, la remise des onze prix Atomium a une fois de plus récompensé un large panel d'auteurs déjà reconnus ou en passe de l'être. Rappelons que ces prix sont dotés soit de sommes d'argent qui viennent soutenir la création ou de campagnes de communication autour de leurs albums.

Nous l’expliquions dans notre article de ce matin : la Fête de la BD de Bruxelles devient une manifestation qui s’étend pendant un mois complet, du 10 septembre au 10 octobre. La cérémonie des Prix Atomium continue d’inaugurer l’événement, sauf qu’elle a été enregistrée, car elle ne pouvait avoir lieu en public.

Les nominés ont été listés dans notre précédent article. Si vous le désirez, vous pouvez regarder cette cérémonie de remise des prix ci-dessous :

Mais sans plus attendre, voici les lauréats :

Prix Raymond Leblanc de la jeune création : « Vents de Montagne, pluies d’océan » de Shih-hung Wu

Nous ne savons pas grand-chose de cet auteur taïwanais, si ce n’est que le rayonnement du Prix Raymond Leblanc l’a poussé à présenter son projet bien loin de chez lui. S’il s’agit du premier ouvrage BD de cet auteur, ce quadragénaire n’est pourtant pas novice dans le dessin, car il travaille pour des studios d’animation depuis une vingtaine d’années. Le jury a cependant été convaincu par la grande maturité artistique de son projet.

Il s’en explique : « Tant le graphisme que le découpage sont étonnants d’aboutissement pour quelqu’un dont c’est le premier ouvrage. [...] Les bases sont solides et excitantes, nous sommes en face d’un auteur qui sait ce dont il est capable, qui maîtrise sa technique pour la mettre au service d’un récit fort. Le travail de Shih-Hung Wu est singulier et original. Il ne copie personne : il est unique. Son style, dans la lignée des grands maîtres européens et asiatiques, fait la jonction entre le meilleur des deux langages graphiques. »

Les Prix Atomium 2021 récompensent la curiosité et la diversité
Le jury du Prix Raymond Leblanc 2021
Photo : DR.

Constatons l’excellente intuition du jury qui avait primé en 2018 Maurane Mazars pour son album Tanz ! qui s’est révélé une magnifique création, l’autrice ayant également reçu le Prix Révélation 2021 au FIBD d’Angoulême, nous sommes déjà impatients de découvrir les planches de son successeur de 2021.

Prix de la Fédération Wallonie-Bruxelles en bande dessinée : José Parrondo

José Parrondo, grâce à un véritable travail d’ascèse et de synthèse, met son talent au service d’une fantaisie de haut vol et nous pond ce qui a tout l’air d’un futur classique, avec "I Am the Eggman". Voici ce qu’écrivait Thomas Bernard à son propos il y a six mois, pour parler de l’imposant ouvrage de 300 pages qui était paru à l’Association en ce début d’année.

José Parrondo
Photo : Céline Michel

Frédéric Hojlo nous expliquait également concernant son précédent ouvrage : « En bon dessinateur minimaliste, il faut peu de moyens à José Parrondo pour exprimer beaucoup. Quelques lignes ou quelques mots lui suffisent pour faire naître un sentiment ou pour ébaucher une réflexion. Le lecteur a tout loisir de développer, sans carcan. Et à force d’amonceler les petits épisodes et les aphorismes, il pose les fondements de ce qui pourrait presque être une philosophie, privilégiant un regard étonné sur le monde afin d’en saisir toutes les incongruités. »

Et de continuer : « Le minimalisme n’empêche pas, et peut-être même favorise une approche ludique du dessin et de sa lecture. Employant alternativement deux techniques, le trait et le pochoir, José Parrondo joue avec les formes et avec les sens. José Parrondo confirme avec La Main à cinq doigts, son dixième livre chez L’Association, qu’il fait partie de ces auteurs qui ont entièrement compris à quel point le dessin peut faire sens, en étant signe. Et qu’un peu de frugalité graphique permet au cerveau de respirer en un temps où l’image abonde. »

Prix Atomium de Bruxelles  : Béatrice de Joris Mertens, éd. Rue de Sèvres

Mêlant à la fois l’architecture de Bruxelles, la diversité d’Anvers et le bruissement de Paris, ce très bel ouvrage muet de Joris Mertens est une invitation au voyage et à l’émerveillement.

« Utilisant avec brio les effets des lumières de la ville, l’ambiance surchauffée des brasseries, Joris Mertens restitue avec tendresse l’atmosphère si particulière de ce conte de Noël urbain et surpeuplé, expliquait Patrice Gentilhomme dans sa chronique. Le principe de l’objet « transitionnel » représenté par ce sac mystérieux rouge, le recyclage du mythe de Faust : revivre une autre vie et ce qui va avec, sont certes des thèmes qui ont déjà servi mais Joris Mertens s’en acquitte fort honorablement. Il reprend ces sujets de manière sensible et pudique dans un récit totalement muet, aux couleurs chatoyantes en rupture avec les séquences en niveaux de gris. L’ensemble se parcourt avec plaisir, surfant sur la nostalgie et l’émotion ».

Le Prix Prem1ère du roman graphique   : Incroyable ! de Zabus & Hippolyte, éd. Dargaud

Cet album raconte la vie du jeune Jean-Loup, qui souffre de TOC liés à un cruel manque de confiance en lui et à une certaine solitude due à l’absence de sa mère. Il compense ces petits troubles du comportement par sa grande imagination, et un talent de conteur. Pour se rassurer et se donner confiance en lui, il se construit ainsi son propre univers avec beaucoup de fantaisie.

« Étonnant roman graphique sur un touchant petit garçon qui tente de gérer sa vie mouvementée par des tocs de comportement, écrivions-nous dans notre chronique. Drôle, faussement naïf et vraiment intelligent, ce roman graphique de 140 pages vaut surtout pour le ton à la fois moderne, volontairement enfantin et drôle du récit. Le second atout d’Incroyable ! réside dans l’alchimie entre le ton du récit et la magnifique mise en forme d’Hippolyte. Après Les Ombres, cette seconde association au long cours avec Vincent Zabus leur permet de déployer toute l’étendue de leurs talents respectifs au profit de la collaboration. Superbement mis en page, et doté d’un séquençage théâtral comme Zabus l’apprécie qui permet de donner un véritable rythme au livre, Incroyable ! se lit avec un sourire permanent sur le visage, du début jusqu’à la fin du livre, avec en prime quelques beaux moments d’émotions. »

Le Prix Cognito de la BD historique : La Bombe d’Alcante, LF Bollée et Denis Rodier, éd. Glénat

Sans surprise, c’est l’imposant volume multi-primé d’Alcante, LF Bollée et Denis Rodier qui s’impose une nouvelle fois. Pour la force de sa composition et le soin des détails historiques.

Le jury explique : « La qualité du graphisme en noir et blanc, la précision du récit où chaque détail a été vérifié, l’importance donnée à la dimension humaine de ces recherches, la contexte politique des années 1930-40 : tout cela fait de ce roman vrai une réussite totale qui mérite la plus grande audience. Cette année, le jury a également décerné une mention particulière à l’album Le Peintre des Khmers Rouges de Mastrogostino et Castaldi (La Boîte à Bulles) qui évoque une des plus grandes tragédies des temps modernes. »

Le Prix Le Soir de la BD de reportage  : Prison n°5 de Zehra Dogan, éd. Delcourt

Dès sa sortie, nous avions été bouleversés par cette immersion autobiographique d’une journaliste prisonnière kurde au sein des geôles turques. Ce témoignage, on en doit sa lecture à Tardi et Dominique Grange qui ont parrainé le journal que cette kurde a réalisé clandestinement, pendant ses trois années d’emprisonnement. Enfermée pour avoir eu le malheur de réaliser un dessin...

Voici ce que nous écrivions à sa parution : « Les perspectives et les dessins de l’autrice ne sont pas toujours académiques, mais elles restituent avec beaucoup de force et d’authenticité le quotidien au sein de la prison, ainsi que le combat des Kurdes pour retrouver au-delà d’une indépendance, du moins un simple respect de leur existence et de leur culture, eux qui ont été divisés à travers quatre pays voilà un siècle. Sans être un récit militant, Prison n°5 permet de mieux comprendre la position du peuple kurde, ce qu’ils cherchent à obtenir, que ce soit par des actes non-violents ou désespérés. On s’en doute, il n’y a vraiment pas de prise de recul, mais c’est justement ce qui confère cette atmosphère si particulière à l’album : un témoignage d’une rare intensité, réalisé avec des moyens de fortune au dos des lettres que Zehra Dogan recevait, et qu’elle a fait ressortir une par une clandestinement. »

Le Prix Atomium Spirou junior : Camille et Cosma Sené

Le Prix Atomium Spirou junior récompense des histoires courtes en BD (maximum 4 planches) qui mettent en scène Spirou et Fantasio. Un prix destiné aux moins de 18 ans.

« Ces deux frères de 13 et 15 ans ont passé leur été à réaliser un récit loufoque
intitulé "Voyage vs travail"
, explique le jury. Si leur dessin a encore une belle marge de progression, nous avons aimé leur humour et leur projet qui a occupé leurs vacances d’été. Ils étaient immergés dans leur sujet et leur humour nous a parlé. »

Le Prix Atomium Spirou jeunes auteurs : Thomas Bidault

Pour sa part, le Prix Atomium Spirou jeunes auteurs récompense le même type d’histoire que le prix précédent, mais destiné aux plus de 18 ans ayant
publié au maximum 3 albums.

Et le jury d’expliquer : « Nous avons été séduits par la poésie de l’histoire de Thomas Bidault qui parle avec beaucoup de finesse des questions écologiques. Son court récit est, en outre, très astucieusement construit pour former une étonnante boucle temporelle. Thomas est un graphiste de 33 ans qui n’avait jusqu’ici jamais publié de bande dessinée. Il se retrouvera au sommaire du Journal Spirou cet automne, grâce à ce voyage aux couleurs chatoyantes. »

Le Prix Willy Vandersteen : La Baleine-bibliothèque de Judith Vanistendael & Zidrou, éd. Le Lombard

Les deux auteurs, qui n’avaient encore jamais travaillé ensemble, ont trouvé le ton juste pour entraîner le lecteur dans une belle fable presque contemporaine, avec cette baleine bibliothèque qui échange avec ce facteur maritime.

« Avec Zidrou, Judith Vanistendael a trouvé une sorte de sérénité qui se sent, se ressent dans son dessin, écrivait Jacques Schraûwen->art27810]. Elle qui racontait des histoires pour ne pas se noyer se fait l’illustratrice d’un récit dans lequel la poésie prend vie aux feux d’un imaginaire qui nous ramène, lecteurs, aux douces folies de nos enfances plurielles. Au travers des aventures d’un postier marin et de sa rencontre avec une baleine dans les antres de laquelle des milliers de livres attendent leurs lecteurs, les auteurs nous emmènent à leur suite dans une approche simple de la vie, une approche qui peut se résumer en deux mots : vivre et aimer ! »

Le Prix Atomium des Enfants : Yasmina, Tome 1 : Master-classe » de Wauter Mannaert, éd. Dargaud

Après un premier album qui avait déjà reçu un prix Atomium Willy Vandersteen, son auteur Wauter Mannaert a prolongé les aventures de son héroïne Yasmina en nous proposant cette fois une série à suivre. Un ton drôle, accessible et en prise directe avec l’actualité qui a manifestement plu au jury.

De manière générale, notre collaborateur Christian Missia Dio exprimait son plaisir à lire les différents albums de la série : « Wauter Mannaert nous concocte un récit loufoque et graphiquement expressif, très plaisant à lire aussi notamment parce qu’il reste en prise avec l’actualité. Yasmina est une série à découvrir ! »

Yasmina T.1 : Master-classe
Wauter Mannaert © Dargaud

Prix Atomium de la BD citoyenne : Chez toi de Sandrine Martin, éd. Casterman

Cet album se focalise sur deux femmes aux situations difficiles. Mona vient de Syrie, et voudrait rejoindre de la famille en Allemagne. Monika, sage-femme travaillant auprès des réfugiées, vit mal son statut et son quotidien familial.

« En croisant ces existences dans une ville, Athènes, au cœur de tous les problèmes de l’exil politique, Sandrine Martin illustre la violence qui secoue à la fois les démunies, les déracinées, et celles qui leur viennent en aide, expliquait David Taugis dans sa chronique->art27417]. L’autrice ne s’est pas contentée d’une documentation journalistique ou livresque. Son album s’inscrit dans un travail de recherche universitaire [...] Ses personnages, certes fictionnels, s’inspirent des témoignages recueillis par deux anthropologues, impliquées dans la recherche européenne autour de la question des réfugiés. Donnant de l’espace à ses dessins, évitant souvent les cadres et variant les formats, Sandrine Martin préfère la sensibilité au réalisme documentaire. Ses couleurs tournent majoritairement autour du bleu et du rouge, et les détails des décors ne sont pas systématiques. Un choix esthétique qui peut faciliter l’accès du grand public, ou de lecteurs et lectrices peu familiers de la BD. »

Si une majorité des lauréats sont belges, il faut saluer l’internationalisation des divers auteurs primés : le Canadien Denis Rodier, la Kurde Zehra Dogan ou le Taïwanais Shih-hung Wu, ce qui démontre l’importance grandissante des prix et du festival.

Espérons que l’année prochaine permettra de réaliser un festival dans des conditions revenues à la normale, avec une cérémonie publique, c’est quand même plus festif.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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