Souvenez-vous. Nous sommes dans les années 1980, la succession de Spirou est au cœur des débats, Fournier ayant été brutalement débarqué et ses successeurs pas vraiment satisfaisants, surtout que l’ombre portée de Franquin pèse encore sur les impétrants. Plusieurs auteurs sont sur les rangs. On sait que Tome & Janry remporteront le bâton de maréchal. Mais Franquin a encore pas mal d’héritiers, et pas des manchots : Batem (Marsupilami), Stephen Colman (Billy The Cat), Didier Conrad & Yann (Les Innommables), Bar2 (Joe Bar Team)… C’est à cela qu’on reconnaît un dessinateur influent : à la qualité de ses successeurs. Et puis il y a le cas Luc Warnant.
Dans la ligne néo-franquinienne, il était parmi les plus doués de sa génération, et il en faisait la preuve en s’associant en 1986 avec Philippe Tome dans la création de David Elliot Hanneth Solomon alias Soda, un flic new-yorkais déguisé en pasteur qui cache son vrai job pour ne pas affecter sa maman cardiaque. Une vraie double-identité de super-héros. Sauf qu’avec son 357 Magnum, Soda est plutôt un cousin de Dirty Harry, l’inspecteur hard boiled incarné par Clint Eastwood. Cela donne une série moderne et déjantée, au dessin virtuose, dans un New York que Tome connaît comme sa poche. Tout le monde est bluffé. Même Franquin qui choisirait Warnauts, dit-on, s’il fallait un successeur sur Gaston Lagaffe…
Première rupture
Mais on ne succède pas impunément à Franquin, le Paganini du dessin : « J’ai arrêté, confiait Warnant à ActuaBD, parce que dans le monde de la BD, on est très seul. Quand on travaille on est seul. On discute avec le scénariste, pour mettre au point l’histoire, mais on est seul. Et ça, ça commençait à me peser énormément. »
Heureusement, Tome a Bruno Gazzotti dans sa garde rapprochée. Il embraie en 1990 pour dix autres volumes puis, alors qu’il lance la série Seuls avec Vehlmann dans Spirou (2005), avec le succès que l’on sait, il suspend sa contribution.
L’interruption n’est pas seulement dûe à son autre série : il n’aime pas trop la direction prise par Tome qui, traumatisé par les attentats du 11-Septembre, a envie de durcir encore le ton : « À cette époque, raconte Tome dans Spirou, j’entamais le projet d’écriture de Code Apocalypse, m’interrogeant sur ce qu’il serait désormais possible de créer dans une fiction crédible alors que la réalité dont le monde venait d’être témoin dépassait en ampleur tout ce qui semblait imaginable. J’ai terminé le récit sans mentionner les attentats ni faire apparaître les Tours jumelles, pourtant présentes dans les précédents épisodes. »
Pour le 13e épisode, il passe le relais à Dan Verlinden, alias Dan : « Après ses prédécesseurs, racontait alors Tome, je ne me voyais confier cette série qu’à un virtuose avec lequel je me sentirais complice. Ce qui désignait d’office Dan, collaborateur de Janry sur Spirou et Le Petit Spirou... »
Deuxième rupture et nouvelle époque
Puis vient le décès inopiné de Philippe Tome en 2019.. Bruno Gazzotti reprend la main, avec l’intention de faire revenir la série au cœur des années 1980. L’idée de ce retour en arrière vient d’Olivier Bocquet : « La ville est devenue trop éloignée de l’esprit de la série, analyse-t-il. Ce choix permettait également de se débarrasser des téléphones portables et d’Internet, qui ne sont pas toujours intéressants à intégrer dans les intrigues policières… »
Cela donne un épisode ultra-dynamique, intelligemment troussé, qui nous ramène aux meilleures heures de la série susceptibles de satisfaire aussi bien les vieux fans (car les lecteurs de la première heure ont vieilli, les bougres) que les jeunes lecteurs qui trouveront là une série d’action haletante, remarquablement dessinée. « Faites vos prières, il revient ! » dit le slogan des éditions Dupuis. Pas besoin : nos vœux sont exaucés et le miracle est patent. Hallelujah !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Soda - Le Pasteur sanglant - Par Olivier Bocquet et Bruno Gazzotti - Ed. Dupuis
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