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Baru : "Les Français ont oublié que des crises comparables se sont déjà déroulées précédemment "

Par Nicolas Anspach le 28 mai 2006                      Lien  
En avril dernier, Baru signait le dernier tome d'un diptyque, {L'Enragé}. Une œuvre forte et poignante, où il exprime la quête d'un jeune des banlieues qui souhaite réussir socialement et la culpabilité qui découle de son éloignement des siens... Baru nous raconte la genèse de ce mélodrame où la tension est palpable à chacune des pages.

A travers l’Enragé, vous nous parlez des banlieues et d’un homme qui arrive à quitter sa « cité dortoir » pour s’imposer comme le champion du monde de boxe...

Effectivement. Lorsque j’écris une histoire, je procède toujours de la même manière : J’ai un désir profond d’occuper un espace social et d’explorer une thématique particulière à travers une histoire. D’une manière générale, je me sers de ma propre expérience pour donner de la chair au récit, même si, évidement, je m’éloigne de mon vécu en utilisant des métaphores. Anton Witkowsky, le personnage principal de L’Enragé, est un jeune des banlieues qui est, en quelque sorte prisonnier de l’idéologie contemporaine : la réussite personnelle. Il souhaite s’imposer dans sa discipline, la boxe.

Pourquoi avoir choisi la boxe, plutôt qu’un autre sport ? C’est l’allusion la plus cinématographique, la plus chorégraphique et la plus graphique de l’état de notre société.

Baru : "Les Français ont oublié que des crises comparables se sont déjà déroulées précédemment "

Le climat social dans lequel vit Anton est très violent. Son père, issu du monde ouvrier, ne veut pas qu’il suive cette voie. Est-ce quelque chose que vous avez vous-même ressenti avec vos parents ?

Mon père était déjà mort lorsque je me suis lancé dans la bande dessinée. Par contre, j’ai commencé ma carrière professionnelle comme professeur de gymnastique. Lorsque je lui ai annoncé que je désirais suivre de telles études, il m’a fait part de son désaccord. Il aurait souhaité que je devienne ingénieur, ce qui aurait été un moyen de quitter le milieu ouvrier dans lequel je vivais moi aussi. Mes choix professionnels furent sans doute la plus grande déception de sa vie !

Le père d’Anton, lui, pense qu’il faut mener un combat de groupe pour échapper à sa condition. Malgré ses idées, son intelligence, sa culture et son expérience du monde du travail, le père d’Anton est au chômage. Notre personnage principal sait donc que ce n’est pas en suivant cette voie qu’il va réussir à sortir de sa condition. Il va donc endosser l’idéologie dominante, qui est le libéralisme économique, et il va en payer le prix... Plus il sera célèbre, plus il sera rongé par le remord et la culpabilité. Il va ainsi se rapprocher des siens en finançant notamment une salle de sport dans son quartier natal et deviendra une figure emblématique des banlieues.

Anton ne recherche pas cela au début...

Oui ! Il lui fallait un choc traumatique pour amorcer son retour vers les siens. La trahison d’Anna, la femme qu’il aime, sera cette amorce. En fait, L’Enragé est basé sur deux thématiques : la trahison et la culpabilité qui en découle.

Les récentes émeutes des banlieues françaises ont-elles influencé votre écriture ?

J’ai écris cette histoire peu après L’Autoroute du Soleil. Mais pour différentes raisons, je n’ai pas dessiné ce récit à ce moment-là. Les Français ont oublié que des crises comparables se sont déjà déroulées précédemment dans différentes villes, à Vaulx-en-velin notamment. Il ne fallait pas être devin pour savoir, qu’un jour ou l’autre, cela allait à nouveau péter. Je n’ai rien inventé.

La tension est permanente dans cette histoire...

Oui. Dès les premières pages où l’on voit Anton assis sur le banc des accusés au tribunal. Lorsque l’on est inculpé pour un meurtre, on n’est pas très serein. Anton ne s’est jamais aimé, même lorsqu’il était champion du monde. Il pense que les seules femmes qu’il mérite sont des prostituées. Sa rencontre avec Anna l’a changé. Sa trahison lui a causé un choc psychologique. Il se sent responsable de cette tromperie car il n’a pas compris ses motivations. Anton recherche à se punir au tribunal en étant impassible lors de son procès. J’avais d’ailleurs prévu de lui faire dire une longue tirade qui allait dans ce sens. Mais j’ai abandonné l’idée car j’allais trop verser dans le mélodrame.

Les couvertures reflètent à elles seules l’atmosphère particulière du récit.

J’avais réalisé des essais en dessinant le personnage principal en pied. Mais Claude Gendrot, l’ancien directeur éditorial des éditions Dupuis, la trouvait un peu faible. J’ai recherché un équivalent graphique pour traduire cette tension, cette rage. L’idée de montrer le visage d’Anton s’est rapidement imposée.

(par Nicolas Anspach)

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