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Seiter et Régric ("Lefranc") : « Comme journaliste, Lefranc visite l’histoire du XXe siècle entre 1952 et 1959 »

Par Charles-Louis Detournay le 12 septembre 2020                      Lien  
Dépaysement et références aux premiers albums de la série, le tome 31 de "Lefranc" intitulé "La Rançon" nous entraîne de l'Alsace de Jacques Martin et de "La Grande Menace" à l'Afrique du Sud où l'Apartheid et la société secrète Broederbond régnaient en maîtres dans les années 1950.

Seiter et Régric ("Lefranc") : « Comme journaliste, Lefranc visite l'histoire du XXe siècle entre 1952 et 1959 »Vous livrez un album où l’on voyage beaucoup : de l’été de l’Afrique du Sud à l’hiver alsacien en passant par New-York. Vous auriez d’ailleurs pu transporter la partie européenne du récit où vous le vouliez : avez-vous choisi l’Alsace en hommage à la région d’origine de Jacques Martin et aux premiers Lefranc ?

Régric : En fait, tout a commencé d’une manière un peu curieuse. Fin 2016, j’ai envoyé ma carte de vœux à Roger Seiter. L’illustration représentait Lefranc à skis sur une pente enneigée, dans un paysage de montagne. Elle a beaucoup plu à Roger qui m’a dit alors que l’on pourrait faire une histoire qui se passerait dans ce genre d’ambiance. Quant à moi, j’avais dans la tête de faire revenir Lefranc en Alsace. Roger a vu la possibilité de réunir les deux idées, ce qui a donné le début de cet album. Pour le reste du récit, c’est Roger Seiter qui est aux commandes !

Seiter : Comme Jacques Martin, je suis alsacien. J’habite d’ailleurs à huit kilomètres d’Obernai, où habitait Jacques dans sa jeunesse. Et La Grande Menace a été une de mes premières BD car mon père aimait beaucoup les châteaux forts et en particulier celui du Haut-Koenigsbourg. Donc, oui, j’avais envie de rendre un hommage à La Grande Menace et aux origines alsaciennes de Jacques Martin. La partie européenne aurait pu effectivement se passer ailleurs, à Paris par exemple, mais ce retour aux sources est bel et bien volontaire. Avec Régric, nous avons d’ailleurs revisité avec plaisir Strasbourg et le Haut-Koenigsbourg.

Régric : Tu restes d’ailleurs assez fasciné par ce château !

Régric, aviez-vous imaginé que vous alliez changer d’univers en traitant de l’Afrique ?

Régric : Non ! Ça a été la surprise du scénario de Roger. J’adore être surpris par ses nouvelles idées et celle-ci amène encore du nouveau dans la série. Bien sûr, il m’a fallu me documenter sur des animaux et des paysages que je n’avais jamais dessinés auparavant. C’est d’ailleurs ce qui rend chaque album intéressant à dessiner.

Crayonné d’une planche de "La Rançon".
Photo : DR.

La Rançon marque le retour de Jeanjean et de l’implacable Fisher. Trouvez-vous qu’ils ne sont pas assez mis en avant dans l’ensemble de la série ?

Seiter : Pour ma part, La Rançon est mon quatrième album de la série et c’est la première fois que Jeanjean apparaît dans un de mes récits. Sa présence fait également partie de l’hommage à La Grande Menace. L’idée était d’avoir un retour de Jeanjean et Guy Lefranc en Alsace. À la demande de Jeanjean, ils essayent de monter au château. Mais comme nous sommes en plein hiver, cela ne va pas se passer comme ils l’avaient programmé.

Régric : En son temps, j’avais proposé le retour de Arnold Fischer dans l’album Cuba libre. De manière générale, nous l’utilisons volontiers pour ne pas faire réapparaître Axel Borg à tout bout de champ. Fischer est un homme d’affaires véreux qui colle d’ailleurs parfaitement à ce que l’on raconte dans La Rançon.

Seiter : Oui, Fischer reste l’un des adversaires incontournables de Lefranc, mais beaucoup moins utilisé que Borg. Dans La Rançon, il fallait un grand financier international, un rôle qui correspondait plus à Fischer qu’à Borg, ce dernier restant plutôt un aventurier.

Régric
Photo : Charles-Louis Detournay.

On retrouve pas mal de références à de précédents albums de Jacques Martin au sein de ce tome 31. La Grande Menace pour le Haut-Koenigsbourg bien entendu, mais aussi Le Mystère Borg pour le ski, certains cadrages de L’Apocalypse pour le taxi, ou encore La Cible pour les décors urbains et l’introduction nocturne dans l’hôtel.

Régric : Ce sont des références voulues pour ce qui est du château du Haut-Koenigsbourg et l’ascension de l’Alfa Roméo sur la route enneigée (cfr Le mystère Borg). Pour le reste, c’est sans doute l’inconscient qui a fonctionné. Je suis tellement nourri des albums de Lefranc dessinés par Jacques Martin, Bob de Moor ou Gilles Chaillet que ça ressort sans doute dans mes pages. Et c’est tant mieux finalement, car c’est ce qui fait aussi que l’esprit de la série est respecté : c’est le style Lefranc.

Encrage d’une planche de "La Rançon"
Photo : DR.

Ce récit évoque la ségrégation en Afrique du Sud, ce qui n’est pas courant dans les albums de Lefranc. Comment vous est venue cette idée de traiter de l’Apartheid dans Lefranc ?

Seiter : Je tiens beaucoup à rappeler le rôle de journaliste de Lefranc. Lefranc est un reporter qui se trouve souvent mêlé à des aventures qui dépassent largement le cadre de son métier. Et il est effectivement le témoin de son époque.

Régric : Nous voulons donc montrer Lefranc faire son travail de journaliste. Il fait de vrais reportages et écrit des articles pour son journal. Étant un grand reporter dans son époque, il est amené à voyager vers des points chauds de la planète, là où se produisent des événements authentiques. Il couvre la révolution cubaine dans Cuba Libre où il rencontre brièvement le Che et Fidel Castro, ainsi se rend aux Jeux Olympiques de Melbourne par exemple. Clairement, Lefranc visite l’histoire du XXe siècle dans la période 1952-1959. Cela rend ses aventures plus crédibles, à mon sens.

Seiter : Cela se confirme dans La Rançon, dans lequel il se rend en Afrique du Sud pour essayer de retrouver une jeune fille qui a été enlevée en Alsace. Et il y est confronté à la situation particulière de ce pays au début des années 1950. Il ne vient pas pour faire un reportage sur l’Apartheid, mais il devient de fait le témoin des événements qui se déroulent autour de lui.

Roger Seiter
Photo : DR

Quelle est la part d’authenticité de ce récit : y a-t-il eu effectivement des contacts entre le KGB et l’ANC ? Des spoliations envers les indigènes ont-ils eu lieu pour ouvrir de nouvelles mines pour ces minerais recherchés ?

Seiter : Je suis historien de formation et mes récits sont toujours très documentés. L’URSS a effectivement activement soutenu l’ANC et l’Apartheid a également permis la spoliation des indigènes. Ces spoliations concernaient davantage les terres que le minerais, mais investir dans une mine de platine à cette époque pouvait être une excellente idée, notamment pour les raisons expliquées dans l’album. Fischer est un homme d’affaires visionnaire…

Le village ndébélé va rester comme une des belles nouveautés du récit, comment avez-vous découvert ce peuple ?

Seiter : Les Ndébélés sont une des populations indigènes de la région où se rend Lefranc. Leur habitat est particulièrement coloré et intéressant. Avec Régric, nous avons trouvé que cela pouvait faire de très beaux décors.

Régric : En effet, j’ai découvert les villages ndébélés à la faveur de cette histoire. La documentation n’est pas difficile à trouver sur le Net. Ces motifs décoratifs sont vraiment sympas à dessiner. C’est très graphique, idéal pour une bande dessinée ! À tel point qu’il m’est apparu évident de faire figurer ce village sur la couverture.

Concernant le futur de la série, on peut imaginer que l’alternance avec l’autre équipe demeure... ? Avez-vous déjà une idée de ce dont va traiter votre prochain Lefranc ?

Régric : Oui, l’alternance subsiste. Ce système a la vertu de permettre aux auteurs de fignoler le travail. Vous savez, dessiner un album de Lefranc demande grosso modo une année de travail. Et je ne parle pas du processus d’écriture du synopsis, puis du scénario.

Seiter : Notre prochain album sortira en 2022. Régric a commencé à le dessiner il y a quelques semaines. Cet album marquera les 70 ans de la création du personnage de Guy Lefranc.

Régric : Pour célébrer cela dignement, Casterman a proposé à Seiter de travailler sur la base d’une idée de Jacques Martin. Ce projet d’histoire s’appelait alors Le Scandalor, dont Jacques Martin m’avait parlé à l’époque. Je me souviens très bien de nos discussions à ce sujet. Sur la base des notes qu’il a laissées, Roger a imaginé toute une intrigue politico-policière.

Seiter : Jacques Martin avait écrit un court synopsis de deux pages, mais avec des idées vraiment intéressantes. Il ne l’avait pas développé et j’ai construit mon récit sur cette base. Je pense que l’album va être une excellente surprise.

Régric : Je trouve effectivement que c’est une belle idée de publier un album d’après une idée de Jacques Martin pour les 70 ans de la série !

Régric dessine la jaquette de "La Rançon".
Photo : DR.
"Voici la jaquette que j’ai réalisée à la demande de Casterman destinée aux libraires BD du Grand Est", nous explique Régric.

Régric, continuez-vous à vous consacrer d’autre part à votre propre série, Le Musée de l’étrange ?

Oui, avec le peu de temps qu’il me reste, je continue de crayonner tranquillement les pages du prochain épisode de ma série du Musée de l’étrange pour lequel je cherche toujours un éditeur. Des pourparlers sont en cours mais ça prendra encore du temps. J’espère avoir de bonnes nouvelles prochainement.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

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Code EAN : 9782203166615

Lefranc, T31 : La Rançon - Par Régric & Seiter, d’après Jacques Martin - Casterman

Lire aussi la chronique de cet album : Lefranc, tome 31 : La Rançon

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