Bien que le genre ait connu une production modeste, il a toujours accompagné l’évolution de la bande dessinée depuis ses origines. Du comics de romance à la Joe Simon & Jack Kirby à la fin des années 1940, de The Heart of Juliet Jone (Juliette de mon cœur) de Stan Drake & Elliot Caplin dans les années 1950 à 13 rue de l’espoir de Paul Gillon & Jacques et François Gall, le strip sentimental a connu des hauts et des bas. Victime des modes et de choix éditoriaux, la bande dessinée sentimentale semble pourtant aujourd’hui refaire surface.
relooké en mode jeunesse il y a quelques temps chez Soleil avec les collections Blackberry et Strawberry, chassé par la porte, le romantisme nous revient par la fenêtre : par le biais d’un humour décalé voire un tantinet racoleur (chez Fluide.G), il mobilise parfois quelques productions éditoriales plus ambitieuses.
C’est particulièrement remarquable avec deux albums récemment parus chez Bamboo.
Jim-Tehy : un auteur polymorphe
Tehy a débuté dans la bande dessinée adulte avec La Teigne et Gadel le fou. Un registre qui continue encore à le passionner, car outre le succès de Fées et tendres automates avec Béatrice Tillier ou la série Yiu, on a encore pu profiter plus récemment de son imaginaire avec Reign ou L’Ange et le dragon.
Pourtant, si l’auteur est également passionné d’écriture pour le cinéma, la télévision, le théâtre et les courts-métrages, le grand public le connaît mieux sous son pseudonyme de Jim. Nous sommes récemment revenus vers ces albums d’une apparente désinvolture, mais qui cachent un travail conséquent et un profond amour de la vie.
Outre ces livres cadeaux ou livres gags, on retrouve dans l’écriture de Jim une pertinente lecture sociale. Souvent son personnage est le narrateur et livre ses états d’âme, touchant souvent le lecteur en partageant des pensées intimes dans lesquelles on s’identifie rapidement. Le Dernier Socialiste en est un parfait exemple, de même que Petites Eclipses réalisé avec Fane, un roman graphique décrivant les dérives sentimentales de trentenaires légèrement cabossés par la vie, une vision plus rude et un peu plus désabusée.
"Ce que j’aime quand je lis, ou regarde un film, nous confiait Jim, c’est être touché. C’est après ça que je cours. Je suis heureux si le lecteur peut également le sentir dans des albums d’humour plus traditionnels, car là-aussi, sous un emballage accrocheur, c’est souvent très proche de ma vie. Je pense que je cherche toujours à entrainer un sujet, vers ce que je suis, ou ce que je vois des gens qui m’entourent. J’essaie toujours d’y mettre de l’humain, de ces petits détails qui se glissent dans nos vies... Pas par obligation, mais parce que c’est ainsi que ça m’intéresse, que ça va me parler... Étant mon premier lecteur, il faut que je me sente touché par ce que je raconte..."
D’autres albums partent d’une idée un peu folle, un simple pari qui bouleverse la vie des personnages. Une fois de plus, l’identification fonctionne pleinement, et sans recourir à de grandes scènes d’action, le talent d’écriture de Jim, et sa facilité à toucher le cœur des lecteurs, permettent de nous entraîner dans les sentiments des personnages. Récemment, nous avons été séduits par Le Sourire de la baby-sitter, dont une intégrale complétée sous la forme d’un gros one-shot de 148 pages est attendue par les fans.
Mais sa plus grande réussite est sans doute Une Nuit à Rome, parue en mai dernier.
Romantisme à la sauce quadra
Une Nuit à Rome décrit l’itinéraire nostalgique d’un quadragénaire à la recherche de son premier grand amour. L’élément déclencheur se résume à une cassette vidéo que Raphaël revoit le jour de son anniversaire. Dans ce message, la jeune femme lui rappelle une promesse faite vingt ans plus tôt : passer une nuit ensemble à Rome, et propose de l’accomplir pour leurs quarante ans !
Raphaël avait pourtant la vie qu’il avait toujours rêvée, avec sa compagne du moment. Mais il décide néanmoins de partir seul pour Rome, profondément troublé par ce message vidéo. Va-t-il prendre le risque de renouer avec ses premières amours ? C’est tout l’enjeu et le suspens de cette comédie sentimentale bien menée et graphiquement très réussie.
Ambiance solaire et sexy, le scénario du scénariste-dessinateur Jim a de quoi séduire et fonctionne plutôt bien même, s’il n’élude pas les clichés propres à ce type de littérature.
L’intrigue aussi mince soit-elle (le héros risque-t-il de tout abandonner pour revivre son premier amour ?) fonctionne parfaitement, la qualité du trait fait passer ce qu’on aurait tort de réduire à une mièvrerie sentimentale. Cette version branchée et romanesque de Vingt ans après interpellera sans doute les abonnés à la crise de la quarantaine et tous ceux qui un jour ou l’autre ont été tentés de revivre un amour de jeunesse.
"J’aime surtout traiter de personnages non finis, explique l’auteur, Des individus qui ne sont jamais dans le boulot qu’ils rêvaient, qui sont toujours en quête d’autre chose. Narrativement, cette instabilité me plaît bien, elle est idéale pour faire basculer le personnage dans l’intrigue. Et personnellement, c’est quelque chose que je ressens, comme beaucoup j’en suis sûr : comment être satisfait de nos vies, et ne pas chercher ailleurs ? Ne pas vouloir être quelqu’un d’autre, goûter à d’autres vies ? C’est aussi ces idées-là qui transparaissent dans ’Une Nuit à Rome’ effectivement."
La ligne directrice de ce diptyque en deux lignes tient (une fois de plus) dans les réflexions des personnages, leur cheminement personnel et cette douce folie qui étreint le lecteur. Le dessin de Jim, la simplicité de son trait et l’intelligence de son découpage donnent une dimension complémentaire à sa thématique, s’harmonisant parfaitement avec le ton de l’album. Enfin, les couleurs de Delphine parachèvent l’ensemble, pour faire d’Une Nuit à Rome une des réussites de cette année 2012.
Le retour de Nicaise sur un scénario de Bartoll
Changement de personnages et de milieu mais pas de décor. puisqu’avec La Tragédie grecque de Bartoll et Nicaise, on retrouve la Méditerranée, le soleil, de jolies femmes et des décors somptueux.
C’est l’ascension d’Aristote Onassis, bien avant d’épouser Maria Callas, qui nous est racontée dans ce premier tome. Le riche armateur n’hésite d’ailleurs pas à sacrifier celles qui avaient choisi de partager sa vie pour étendre son pouvoir. Luxe, amour, solitude et violence servent de toile de fond aux aventures, souvent dramatiques, de celles suivirent cette figure de ce qu’on appelait des années 1950 la Jet Set.
Raconter en BD la vie d’un des plus grands armateurs abonné à la rubrique people et aux pages éco des quotidiens internationaux constitue le fil rouge d’un récit sans complaisance, fort bien mené, et agréablement illustré par Viviane Nicaise.
Nous avions déjà pu apprécier l’élégance et la finesse de son trait dans le Cahier à fleurs avec Laurent Galandon, ou dans Sang-de-Lune scénarisé par Jean Dufaux. Dans une ambiance très glamour, voire presque kitch, ce récit nous plonge dans un univers attirant où l’on appréciera voir se mêler ces ambitions dévorantes, prises au jeu du pouvoir et des intrigues, ballotés au gré des enjeux financiers et souvent piégés par les passions amoureuses.
Au final, Bamboo publie dont deux ouvrages qui utilise avec brio les ressources et les atouts du récit sentimental pour nous offrir d’agréables récits aussi captivants qu’originaux.
(par Patrice Gentilhomme)
(par Charles-Louis Detournay)
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