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Enfin, Clarke (s’)expose !

Par Charles-Louis Detournay le 5 avril 2019                      Lien  
En trente ans de carrière, Clarke a réalisé une soixantaine d'albums ("Mélusine", "Mister Président", "Cosa Nostra", etc.), sans jamais être exposé. Un oubli réparé, grâce entre autres à l'exposition qui lui est consacrée en ce mois d'avril au Comic Art Gallery.
Enfin, Clarke (s')expose !
Pub pour Dupuis.

Depuis près de trente ans, Clarke est sur tous les fronts. Tout d’abord, dans la presse BD, malgré qu’elle se soit réduite drastiquement : dans le Journal Spirou sans interruption depuis 1990, entre autres avec son héroïne Mélusine, l’une des figures tutélaires actuelles ; mais aussi dans l’autre grand rescapé et destiné à un public plus adulte Fluide Glacial avec Château Montrachet, P.38 et bas nylon, Cosa Nostra, Histoire de France, Mister President, etc. Deux magazines très différents, car Clarke sait surtout faire varier son style : d’un tout public à des récits très corrosifs, tout en passant d’un trait très délié à un graphisme plus réaliste pour traiter de sujets plus graves (Urielle, Les Danois, Nocturnes, Dilemna, etc.).

Couverture pour Fluide Glacial

Après la réalisation d’une soixante d’album et des collaborations aussi diverses que variées (Midam, Denis Lapière, Turk, etc.), on pouvait s’étonner que son travail n’ait pas encore fait l’objet d’une rétrospective. C’est finalement chose faite, avec deux expositions consécutives : tout d’abord à Paris en octobre dernier, à la galerie Zic & Bul qui s’est focalisée sur les trois albums des Réalités obliques. Puis maintenant à Bruxelles, à la Comic Art Factory, avec une seconde exposition centrée principalement sur Mélusine, Cosa Nostra, Mister Président ainsi que les Histoires à Lunettes, sans oublier quelques planches plus réalistes ou des couvertures de Fluide Glacial.

Mélusine, planche 244

Magie noire et blanche

Ce qui frappe dès l’entrée dans la salle d’exposition, c’est le jeu permanent du noir et du blanc que s’est imposé Clarke dès le début de Mélusine. Le dessinateur a joué sur les aplats, osant des négatifs lors d’explosions, ou travaillant les scènes intérieures ou nocturnes où les masses de noir guident le regard du lecteur. D’ailleurs, comme il l’avoue volontiers, le personnage de Mélusine elle-même est un équilibre de noir et blanc, sans doute une part inconsciente du bon cœur et de la sorcellerie qui prédominent chez l’héroïne.

extrait du premier album de Mélusine
planche 34 (page 41)
Couverture de Mélusine T9 Hypnosis

"Depuis le début de mon travail, j’ai travaillé autant le noir que le blanc, explique Clarke. "Il est vrai que cela se perçoit sans doute moins dans Mélusine, lorsque la couleur se rajoute, alors qu’avec "Les Mondes obliques", cela saute à la figure. Ce type de graphisme a engendré pas mal de discussions avec le rédacteur en chef du "Journal Spirou" Patrick Pinchart qui ne supportait de voir une masse de noir sur une page. Imaginez alors sa tête en voyant les premières planches de Mélusine qu’on lui a apportées ! Mais il a fini par s’y faire, pour notre plus grand bonheur !"

"En réalité, je ne suis pas un auteur qui pense en couleur, analyse-t-il. J’ai donc besoin qu’un dessin tienne parfaitement la route en noir et blanc, entre autre en plaçant des noirs, avant d’envisager qu’il soit terminé. Il m’arrive également de commencer par le noir, comme si je travaillais en négatif. Beaucoup de dessinateurs ont peur du vide, alors qu’il représente plus une respiration pour moi, il attire l’œil du lecteur. Le vide donne un sentiment de volume aux objets qu’il entoure. Le dessin autour du vide n’est parfois présent que pour lui donner plus de solidité, de présence. Cela ne reste pas un exercice simple en bande dessinée, où l’on doit tenir compte de la narration pour un nombre limité de cases. Pour autant, je suis loin d’être un prix Nobel : parfois je retourne une ou deux pages en arrière en remarquant une astuce que j’ai réalisée sans m’en rendre compte : je reste un instinctif, malgré tout."

Mélusine, illustration en hommage à Alice au Pays des Merveilles

Fort d’un panel très bien sélectionné par le galeriste Frédéric Lorge, on retrouve une grande variété de planches et d’illustrations tirées de Mélusine, des débuts jusqu’aux derniers albums en passant par quelques périodes notables. L’une d’entres elles présente une belle scène où deux nuages s’embrassent, étonnamment réalisée uniquement au pinceau sec, comme nous l’explique plus globalement Clarke :

"Pour moi, tout est dans le pinceau. Une fois que j’ai tracé les cases et réalisé mon lettrage, je ne lâche plus le pinceau jusqu’au bout de la planche. Avec l’objectif de tirer le maximum de mon outil et de maintenir l’homogénéité de la planche. Je suis aussi très admiratif des auteurs qui multiplient les moyens et les techniques sur le même dessin ou la même planche, mais ma nature me pousse à rester au pinceau."

Mélusine, planche 166 B
Cosa Nostra - illustration

De Fluide à la perversion de la BD traditionnelle

Cantonner Clarke à Mélusine serait bien réducteur ! Sans exposer l’univers des Réalités obliques dont la force aurait pourtant bien équilibré les autres séries de l’auteur, la sélection opérée par le galeriste permet de bien saisir toute la pluralité des styles de Clarke. Sa série Mister Président, imaginée pour caricaturer Georges W. Bush reste d’une incroyable actualité grâce aux frasques de Trump. Sans oublier les planches de Cosa Nostra présentant un trait plus fin que dans la précédente série, et moins de détails. Une nouvelle preuve que le style de Clarke s’adapte naturellement au propos.

Mister President

"Je n’intellectualise pas du tout mon trait, précise l’auteur. Le récit réaliste appelle un trait qui le sert, si le crayonné en-dessous et l’intention initiale sont différents du récit humoristique. En comparant les planches des différents univers, on remarque bien entendu les grandes particularités de chacun d’entre eux, dont l’encrage spécifique à chaque série, mais cette nuance de style est juste conditionnée par l’intention initiale ! Elle dicte le scénario, la mise en page et la narration, puis le dessin et l’encrage."

"Les Danois"

L’exposition propose également une sélection d’Histoires à Lunettes, la série de gags réalisée avec Midam. Outre un humour très caustique, la série se distingue par ses personnages, portant tous des lunettes qui cachent leurs yeux. La difficulté résidait d’ailleurs à se focaliser sur les attitudes des personnages, sans réaliser de zooms sur leurs visages, ceux-ci sont globalement inexpressifs, comme distanciés de la situation qu’ils vivent.

"Avec Midam, nous avions trouvé le terme "impavides" [NDR : entre impassible et vide] pour déterminer les visages fermés des personnages. Nous voulions consciemment ou inconsciemment torpiller un peu le système en place pour tenter d’amener du neuf. Nous voulions donc donner à ce nouvel humour la forme traditionnelle des BDs du "Journal Spirou", pour mieux le pervertir de l’intérieur."

Histoires à Lunettes - Par Midam & Clarke - Dupuis.

S’il fallait encore vous convaincre de réaliser un détour pour admirer cette exposition et porter un autre regard sur le travail de Clarke, voici une vidéo réalisée par la galerie et qui permet à l’auteur de donner encore quelques explications complémentaires :

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

Clarke, au centre de l’exposition qui lui est consacrée, au Comic Art Factory (Bruxelles).
Photo : Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Expo Clarke
Galerie Comic Art Factory
Du 5 avril au 4 mai 2019
Chaussée de Wavre 237
1050 Bruxelles - Belgique (galerie située en face de Museum - l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique)
Heures d’ouverture : jeudi, vendredi et samedi de 11 à 19h. Les autres jours sur rendez-vous.

A propos de Clarke lire nos autres articles sur ActuaBD.com :
- Notre une : Clarke provoque d’obliques rencontres d’auteurs... et l’interview concernant cette même série : « "Réalités obliques" présentent des saynètes qui ne souffrent pas de détour, au contraire de "Dilemma" qui multiplie les chemins de traverse »
- Mélusine en rose et noir : un virage sur l’aile pour la série de Clarke
- Mélusine, T. 24 : La Ville fantôme - Par Clarke - Dupuis
- Mélusine, T23 : Fée contre sorciers - Par Clarke - Dupuis
- Dilemma
- Le très personnel récit des Etiquettes
- Le tome de Mélusine qui met en scène le suicide de Cancrelune
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- Le one-shot Nocturnes et l’interview associée : "Un personnage est crédible lorsque son auteur le comprend"
- Les AmazonesChapitre 1 et 2
- Cosa Nostra : tomes 1, 2 et 3
- Mister President : T1, T2 & T3 et son interview associée : "Mister President est à cheval entre le dessin de presse et la BD"
- Urielle
- Le monde est flou (Histoires à Lunettes T5)

Photo en médaillon : Charles-Louis Detournay.

 
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