Nous sommes accueillis chez Madeleine Riffaud par Jean-David Morvan, dont nous suivons la silhouette massive dans d’étroits escaliers parisiens. C’est haut, et sans ascenseur. En poussant une porte, nous arrivons dans un salon élégant, une véritable boutique à souvenirs, où Madeleine nous attend dans son canapé.
Rideaux tirés pour éviter la lumière, odeur de tabac flottant dans l’air, cage à canaris gazouillants, l’intérieur est marqué par autrefois, empli de souvenirs forts. C’est Jean-David qui inaugure les présentations : il nous détaille l’idée sous-jacente de l’album Madeleine, Résistante, né après le visionnage d’un documentaire, portait de trois résistantes, dont Madeleine. Mais c’est elle qui crève l’écran. JDM veut la rencontrer et faire une BD avec elle ! C’est visible : elle et lui s’entendent comme larrons en foire.
Il y a la conscience qu’elle est l’un des derniers témoins de cette époque de notre histoire. La première fois qu’il l’aborde, c’est au téléphone, à l’occasion du 77e anniversaire de la Libération. L’idée de narrer son parcours à travers le médium de la BD est soumise par Madeleine à Jorge Amat, réalisateur en 2020 du documentaire Les Sept vies de Madeleine Riffaud. « - C’est génial ! » répond le cinéaste. C’est le déclic. Après plusieurs discussions, Madeleine et Jean-David suivent leur intuition : la mémoire de la Résistante et poétesse sera déclinée sous la forme d’une trilogie graphique. C’est le talentueux Dominique Bertail qui est au dessin. Et le rendu est sublime.
La prodigieuse mémoire de Madeleine, qui avec l’âge vient parfois par à-coups, lui permet de nous raconter sa vie avec force détails, dont le point de départ est sa naissance, en 1924. Madeleine Riffaud naît dans la Somme de parents instituteurs.
Lorsque, en 1940, elle et d’autres réfugiés sont attaqués par la Luftwaffe qui les mitraille alors que, innocents et désarmés sur les routes de l’Exode, ils se rendent vers le Sud-Ouest « nono » (non occupé), Madeleine décide de partir pour Paris résister à l’envahisseur.
Par le détour d’un sanatorium (c’est raconté dans l’album), elle a 18 ans quand elle s’engage dans les FFI (Forces françaises de l’intérieur) sous le nom de code « Rainer », d’après l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke et, en prélude du soulèvement parisien de 1944, son groupe reçoit l’ordre d’abattre un haut gradé nazi. C’est elle qui tiendra le pistolet. Malchance : elle est faite prisonnière par la Gestapo, elle est torturée mais ne parle pas et se retrouve condamnée à mort.
Elle est libérée lors d’un échange chanceux de prisonniers et reprend ses missions dans la Résistance. Sa nouvelle mission est d’ailleurs extrêmement périlleuse : elle doit attaquer, avec seulement trois hommes sous ses ordres, un train de soldats allemands qui s’apprête à prendre à revers les résistants parisiens. L’opération peut faire échouer l’insurrection. À coup de dynamite et de fumigènes, Madeleine parvient à arrêter les Allemands, à les faire prisonniers (80 hommes !) et à récupérer leurs armes. Une victoire militaire décisive !
Lors de la Libération de Paris, Madeleine fête ses 20 ans. Désireuse de rejoindre l’armée française, elle n’y est pas autorisée : elle est mineure (il fallait 21 ans à l’époque) et c’est une femme ! Elle se tourne alors vers une carrière de correspondante de guerre pour les quotidiens Ce Soir puis L’Humanité, en plus d’écrire une anthologie de poésie et des romans, dont le best-seller Les Linges de la nuit en 1974, réédité le 26 août 2021. Son parcours la fera rencontrer Ho Chi Minh et Picasso (qui devient son ami), couvrir la guerre d’Indochine puis celles d’Algérie et du Vietnam, échapper à des tentatives de meurtre politique, et, finalement, relater son vécu traumatisant de 1939-1945 à l’occasion des 50 ans de la Libération. Une mission qu’elle explique par le besoin d’honorer la mémoire de ses pairs tombés au combat, elle qui fut elle-même décorée d’une Croix de Guerre et de la Légion d’Honneur.
C’est cette vie spectaculaire et cette lutte digne d’admiration qui font aujourd’hui l’objet d’un triple album de Jean-David Morvan, dessiné par Dominique Bertail et validé par Madeleine Riffaud qui a salué la qualité et la quantité de travail fourni pour sortir ce bien bel ouvrage. Interviews, prises de photos sur les lieux cités dans l’album, travail de documentation, l’album est le résultat d’une colossale investigation qui a fait l’admiration de Madeleine et qui mérite toute notre attention. Écoutez le podcast où l’on retrouve JD Morvan et Madeleine ! Nous vous en reparlerons dans quelques jours.
En médaillon : Photo de Madeleine Riffaud / DR - Dupuis
En logo de survol : Photo par Auxence Delion
(par Auxence DELION)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos en médaillon : D. Pasamonik (L’Agence BD) et JD Morvan.
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