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Après "L’Onde Septimus", Blake et Mortimer affrontent "Le Cri du Moloch"

Par Charles-Louis Detournay le 26 novembre 2020                      Lien  
Sorti ce 20 novembre dans certains pays (et bientôt dans d’autres), le vingt-septième album de Blake et Mortimer intitulé « Le Cri du Moloch » pousse encore un peu plus loin la réappropriation du mythe jacobsien.

Après "L'Onde Septimus", Blake et Mortimer affrontent "Le Cri du Moloch"Avec dorénavant plus d’aventures réalisées par les repreneurs que par Jacobs lui-même, il faut maintenant concevoir la série de Blake et Mortimer comme un système solaire à part entière, dont les premiers albums constituerait le soleil central, et autour duquel graviteraient les opus suivants que la série mythique de Jacobs a inspirés. Certaines planètes plus proches du soleil sont solides et assez conformes à la série originelle. D’autres plus éthérées en sont plus éloignées, mais bénéficient toujours des rayons de ce soleil dont l’éclat n’a cessé de croître ces dernières années.

Dans ce système solaire purement métaphorique, l’apport de Jean Dufaux serait une comète. À la fois très éloigné du mythe originel dans l’esprit des lecteurs, mais aussi parfois si proche de ce soleil jacobsien qu’il s’y brûle, y laissant alors une part de lui. Sa trajectoire est aussi totalement différente des autres, presque perpendiculaire. La preuve : c’est par Olrik qu’il a entamé ce long voyage.

En 2013, lors de la présentation de "L’Onde Septimus"
Jacques De Decker (animateur du débat), Jean Dufaux et Étienne Schréder (de g. à d.).
Photo : Charles-Louis Detournay.
Jean Dufaux
© Dargaud / Rita Scaglia

« Ce Blake et Mortimer est une très longue histoire qui remonte à plus de dix ans, nous a expliqué le scénariste, Alors que Christopher Nolan sortait en salle sa vision de "Batman". Je trouvais que sa démarche s’avérait être un excellent angle pour s’attaquer à un mythe et l’explorer, ce qui pouvait m’inspirer pour le projet dans lequel m’avant lancé Philippe Wurm, à savoir réfléchir sur une adaptation de l’œuvre de Jacobs. Pour ma part, j’étais surtout intéressé par le personnage d’Olrik ; j’ai donc écrit pour Philippe Wurm un projet où Olrik enterrait son père, où l’on faisait connaissance avec sa nièce, où l’on découvrait son passé et pourquoi il devenait le personnage que l’on connaît. Mais cela n’a pas été accepté… »

« J’ai alors souhaité revenir par la suite à la base jacobsienne, continue-t-il. Or quoi de plus fondateur que son album le plus marquant et le plus réussi : "La Marque jaune". Étant jeune lecteur, j’avais aussi été frappé par la phrase, presque une incantation, proférée à la fin du "Mystère de la Grande Pyramide" et reprise en conclusion de "La Marque jaune" : « Par Horus demeure ». Je trouvais cela fabuleux, signe évident du génie de Jacobs à mes yeux. Pour moi, cette fin de "La Marque Jaune" ne pouvait signifier pour moi que la folie d’Olrik. Or, pour soigner cette folie, je ne voyais comme seule solution le fait que Blake et Mortimer rappelle le Cheik à Londres pour guérir Olrik, ce qui faisait bien entendu écho à mes quatre années passées à l’IAD pour étudier la psychanalyse de l’art. Le rappel du Cheik n’a pas été possible, mais j’ai gardé cette marque de folie pour Olrik, cette blessure, cette fragilité qui caractérise mes personnages. »

De fragilité, il est bien question dans ce Cri du Moloch : dans le chef d’Olrik qui termine complètement déconnecté du monde réel à la fin de L’Onde Septimus ; pour Mortimer dont l’orgueil et sa foi dans la science le poussent une nouvelle fois à s’impliquer dans une démarche qui va réveiller un terrible danger pour la population ; mais aussi pour Blake qui dévoile quelques liens avec son père, mais surtout entrevoit toute la difficulté à se mettre au service aveugle d’une nation qu’il chérit, mais dont il ne peut accepter les décisions prises par son gouvernement.

L’Onde avant le Cri

Même si un résumé présent au début du Cri du Moloch permet de se remémorer les principaux développements de L’Onde Septimus, le précédent Blake et Mortimer réalisé également par Jean Dufaux et Étienne Schréder, nous conseillons ardemment au lecteur de commencer par relire ce précédent opus paru en 2013, avant d’entamer la nouveauté.

Tout d’abord, parce que cette relecture permet de situer et de comprendre les motivations de tous les protagonistes du Cri du Moloch. Il n’y a effectivement presque pas de nouveau personnages dans ce nouvel opus. Et pour être parfaitement clair, son intrigue se situe dans la suite directe de L’Onde Septimus.

Outre le résumé, un bref rappel est effectué dans les premières pages du "Cri du Moloch"

En effet, dans l’album paru en 2013, la menace d’un engin extraterrestre, baptisé Orpheus, avait été déjouée grâce au sacrifice d’Olrik, qui a sombré depuis dans la folie. Tandis que Mortimer tente de ramener à la raison son vieil adversaire au début du Cri du Moloch, il apprend qu’il existe un autre Orpheus. À bord d’un cargo transformé en laboratoire secret, le professeur découvre l’étrange pilote de cette machine : un alien à forme humaine, sombre et hiératique, auquel les scientifiques ont donné le nom de "Moloch", la divinité biblique. Mais les réactions de ce Moloch, et les hiéroglyphes qu’il laisse derrière lui comme autant de messages indéchiffrables, font craindre le pire. Cette fois encore, la capitale britannique est en danger !

La seconde raison pour relire L’Onde Septimus avant cette nouveauté, consiste à renouer avec cette passionnante alchimie composée par l’assemblage de l’univers de Dufaux à celui de Jacobs. Cette « mise-en-bouche » donne plus de saveur et de complexité pour apprécier les subtilités du Cri du Moloch.

Puis, la troisième raison est que cette relecture permet de se rendre compte que cette première incursion de Jean Dufaux dans Blake et Mortimer vieillit bien mieux qu’on ne le pensait. Bien moins linéaire que d’autres transpositions, sa réappropriation gagne en intérêt et en cohérence avec le temps.

Fragilité, symboles et émotion

D’entrée de jeu, Le Cri du Moloch se distingue de la première partie de ce cycle scénarisé par Dufaux. Excepté une séquence « royale » en lumière, l’atmosphère de l’album est directement pesante : une menace plane sur Londres et les premières cases du récit ne laissent échapper aucun doute, un complot va permettre de relancer un danger précédemment éteint par Blake, Mortimer... et Olrik ! Il ne faut se fier à personne, même au sein du gouvernement de sa Majesté.

« Pour ma part, je souhaitais modifier les liens entre les personnages et m’investir d’emblée dans une autre vision de la série, nous explique Jean Dufaux. Je ne voulais pas travailler comme mes camarades auteurs et scénaristes car ils le font déjà très bien et que je n’avais pas d’intérêt à tenter de faire comme eux. Je voulais ramener Blake et Mortimer en 2020, avec une perception des personnages différente, notamment leur part d’ombre car celle-ci intéresse les lecteurs d’aujourd’hui autant que la lumière. Ce n’est pas un hasard, si on sort un film sur le Joker, plus que sur Batman. Je voulais donc m’interroger sur Olrik, car je sais qu’il peut surprendre. Dans une scène du "Cri du Moloch", Olrik tient un moment Mortimer à sa merci et il n’y a personne pour empêcher qu’il le tue. Or il ne le fait pas, car il cherche à perturber Mortimer sachant qu’ainsi, il va redistribuer les cartes. Cela devient alors passionnant d’écrire les interactions entre les personnages à partir de ce moment-là. »

Et de continuer : « Il était pour moi essentiel que je puisse m’attacher aux Blake, Mortimer et Olrik du 21e siècle. Je voulais donc mettre de l’émotion dans la voix des personnages, et les présenter dans une vision plus complète que les clichés qu’on pouvait en avoir. Tous mes personnages ont du mal avec leur passé, depuis que j’écris. Chacun d’entre deux ne trouve pas complètement toutes les réponses aux questions et aux problèmes que leur passé a produit. Je voulais aussi introduire un vrai rôle féminin, dans un monde où les héroïnes sont plus en émotion. C’est donc un personnage féminin qui perturbe la mythologie de Blake et Mortimer tout en la respectant, car on doit y aller prudemment avec le lecteur, étape par étape. »

Dans ce respect de la dialectique entre Blake et Mortimer, Jean Dufaux livre sans doute l’album le plus respectueux de ce casse-tête pour tous les autres scénaristes : comment maintenir au même niveau les deux héros qui se partagent l’affiche ? Un pari tenu car chacun des deux personnages se dévoile et prend tour à tour la tête des opérations, tout en laissant un autre pan à son condisciple. A contrario, l’on aurait souhaité qu’Olrik prenne plus d’importance, surtout qu’il est présenté en avant-plan sur la couverture, et que les événements le poussent à devenir un héros, à la limite presque un super-héros !

« Olrik est un personnage fascinant : très intelligent mais surtout redoutablement cynique. Pour lui, la Terre n’est qu’un espace où il veut prendre tout ce qu’il désire sans jamais rien donner en échange. Et si on lui donne des pouvoirs, il en devient un personnage compliqué à combattre, un ennemi redoutable qui ose même dresser le poing à une menace qui vient du ciel. Bien sûr, l’on ne pouvait pas rester ainsi, et Olrik devait redevenir lui-même, à savoir un être froid, qui tue. Il n’est pas repenti et n’a toujours aucun scrupule. Mais cette tension permet de réaliser alors des cases dont l’importance est essentielle, sur lesquelles il faut s’arrêter. »

Comme à chaque nouvel album, une version bibliophile est également disponible...
...sous jaquette, avec huit hors-texte et un ex-libris pour ce tirage numéroté limité à 8000 exemplaires.

Olrik n’est certainement pas le seul personnage sombre de cet album. Ils le sont d’ailleurs un peu tous... Le scénariste en profite d’ailleurs pour mettre en lumière une partie de l’histoire anglaise moins connue, à savoir la création du British Union of Fascits. Il l’assimile narrativement au groupe des Quatre découvert dans L’Onde Septimus (un patronyme qui se réfère aux fameux Cinq de Cambridge), tout en évacuant adroitement tout manichéisme.

« Juger est une opération compliquée, insiste le scénariste, Mais l’on peut se permettre de donner son avis. Ainsi, l’histoire passe : la génération allemande venue après la Seconde Guerre mondiale possède un passé nazi, et elle a dû affronter son passé pour poursuivre sa route. Je me suis ainsi intéressé à ce parti fasciste anglais. En réalité, je me suis rendu compte en regardant Peaky Blinders que l’acteur interprétant Sir Mosley, le fondateur du BUF, était le portrait craché d’Olrik. Cette similitude physique m’a frappé car le père d’Olrik émanait de ce parti politique dans ma première version de l’histoire. Il fallait donc que je l’utilise et que j’y confronte nos héros. »

Si Jean Dufaux joue sur les fractures de ses personnages, la dynamique de La Marque jaune qui reste le modèle de ce cycle, et l’aspect hiératique du moteur de son intrigue, son scénario du Cri du Moloch s’appuie aussi et avant tout sur les symboles. Qu’ils appartiennent à la dramaturgie de l’univers de Jacobs ou à ce qui génère une résonnance particulière auprès du scénariste. Certes, Le Cri du Moloch comporte son lot d’explosions, de coups de feu et même quelques meurtres sordides plus ou moins dissimulés à nos regards, mais si le lecteur veut profiter pleinement du récit, il devra aussi le lire avec du recul, en adoptant les filtres chers à Jean Dufaux. En particulier la force de l’écriture, capable de renverser des Empires et de bâtir des religions, et le pouvoir des incantations !

« Lorsqu’on se demande ce qui est essentiel pour un parcours d‘auteur de bande dessinée, on pense d’office aux dessins. Mais il ne faut pas oublier les mots !, nous explique le scénariste, En ce qui me concerne, je crois à l’efficacité des mots. D’ailleurs, l’une des cases les plus importantes du « Cri du Moloch » montre la Reine d’Angleterre offrant un livre à Blake, ce que je considère comme le plus beau des cadeaux. J’ai voulu que la Reine apparaisse dans l’album, bien avant le succès de « The Crown », car je souhaitais que ce soit une femme qui donne ce livre, et qu’il s’agisse de la plus haute autorité du pays. Ce cadre royal confère ainsi une autre atmosphère, différente des autres remises de médailles qui se déroulent dans les autres épisodes de la série. »

« La seconde case la plus importante du récit montre Mortimer lorsqu’il comprend que c’est grâce aux mots que l’on peut sauver la planète. Un thème qui était ma première pulsion lorsque j’ai commencé à travailler cette aventure il y a dix ans : je voulais montrer que l’écriture pouvait sauver la ville de Londres. Effectivement, je ne voulais certainement pas aborder ce projet comme une commande. Je souhaitais rester fidèle par rapport à ce que je crois : réaliser un Blake et Mortimer où je pouvais m’inscrire dans l’œuvre de Jacobs, tout en restant sincère par rapport à moi-même car je la respecte. »

Un nouveau tandem de dessinateurs

« J’ai beaucoup travaillé sur ce récit termine Jean Dufaux en conclusion de notre échange, Il y a eu beaucoup d’investissement de ma part. Nous avons formé une équipe soudée avec les dessinateurs et la coloriste Laurence Croix, ce qui m’a beaucoup aidé. On peut vraiment parler d’enrichissement commun sur cette aventure. »

Outre le travail de Laurence Croix qui joue énormément sur les ambiances du récit, Le Cri du Moloch profite effectivement de l’intéressante collaboration entre Christian Cailleaux et Étienne Schréder. Après l’interview du premier diffusé vendredi sur ActuaBD, le second nous a expliqué comment ce nouveau duo s’était formé.

« Christian [Cailleaux] avait fait des essais sur "8h à Berlin". Dans ma position de consultant de l’époque – une position que j’ai abandonnée depuis lors car je ne pouvais pas être juge et parti –, j’ai eu l’occasion de voir ses planches, et même si son nom m’était caché, cela m’a directement rappelé le style d’un auteur que j’appréciais. Christian possède effectivement cette façon de renouveler les personnages que je trouvais très chouette. Mais il avait sa propre manière de traiter la perspective des décors qui était difficile à faire coïncider avec Blake et Mortimer. »

Crayonné de Christian Cailleaux

« En interne, un switch s’est opéré, nous détaille l’auteur. Bocquet et Fromental ont choisi de travailler avec Antoine Aubin, qui avait réalisé "L’Onde Septimus". Mais alors à qui donner la seconde partie de cette aventure ? Comme Aubin avait fait appel à moi pour que je réalise une partie de ce précédent album, il y avait une part de légitimité à ce que je continue. Et je me suis dit : « Pourquoi pas avec Christian Cailleaux ? », dont j’avais entre-temps découvert l’identité sur les précédents essais, « Avec ces personnages qui m’avaient tant charmé ? » Bien sûr, il a d’abord fallu qu’on fasse nos preuves comme n’importe quelle autre équipe, mais tous étaient unanimes à la vue des planches, alors nous nous sommes lancés. »

Et de continuer : « Bien sûr, au début de l’aventure, on a appris à encore mieux se connaître afin de s’évaluer. Christian savait que j’avais beaucoup d’admiration pour son travail depuis bien des années. Ce qui est très important pour moi, car je ne peux travailler qu’avec un auteur que j’admire. Nous nous sommes rapidement découverts plein de points communs, ce qui nous a permis de forger une vraie relation. D’ailleurs, nous n’avons jamais eu de heurts ! »

Si l’entente entre les auteurs reste un point fondamental pour collaborer sur ce type d’album attaché à une série de nécessités, restait encore à trouver la méthode pour fonctionner de manière fluide et effective. Comment partir du scénario de Jean Dufaux pour s’assurer de la justesse des séquences et aboutir à la planche finale, tout en composant avec les diverses sensibilités de deux dessinateurs ?

"Le pari n’était pas gagné d’avance, nous répond Étienne Schréder. Christian a dû faire preuve d’humilité en acceptant que je fasse un découpage réellement contraignant pour lui, afin d’intégrer son style à la mouture de Blake et Mortimer. Mais nous nous sommes vraiment bien entendus. Pour être clair, je me situe au début et à la fin de la chaine de la production de cet album. J’ai réalisé le découpage complet au format de la planche, avec les cadres, les positions des dialogues, afin de coller à la grammaire jacobsienne, en consacrant beaucoup de temps à l’analyse du découpage de « La Marque jaune » pour respecter au mieux la dynamique et le style de Jacobs. C’est pour cela que j’ai parfois proposé de modifier le découpage de Jean Dufaux, avec son accord, en passant par exemple de 10 à 14 cases sur une planche. Le but étant d’apporter un maximum de lisibilité, pour un récit aéré."

Comparaison entre le crayonné de Christian Cailleaux et la case encrée avec Etienne Schréder
Étienne Schréder
© Dargaud

« Ce découpage réalisé, j’ai esquissé les décors, et j’ai fourni la documentation de base à Christian, tout en sachant que cet épisode fait suite à celui qu’Aubin avait déjà dessiné et qu’il nous fallait rester dans le même carcan. Même si nous restions dans les mêmes lieux, nous ne voulions pas copier ses cases, nous avons donc choisi d’autres angles de vues. À la demande de Christian, je plaçais aussi les lignes d’horizon et les points de fuite. »

« Lorsque ce travail de découpage et de placement était réalisé, j’envoyais la planche à Christian afin qu’il puisse insérer les personnages qu’il avait crayonnés sur le côté. Nous pouvions alors discuter de quelques détails et améliorations jusqu’au moment où nous tombions d’accord. Il me renvoyait alors les planches crayonnés, avec uniquement les personnages, et quelques lignes qui traçaient le décor, parfois plus s’il disposait de la documentation, comme les véhicules par exemple. »

« Ensuite, sur base de cette planche, je dessine ou je redessine les décors et véhicules pour m’approcher du style de Jacobs. Nous ne travaillons par exemple pas comme Peter Van Dongen & Teun Berserik qui se partagent les planches, chacun réalisant seul la page qui est dévolue. Pour notre part, nous avons plutôt tendance à tendre vers une forme d’épure graphique. Une fois le crayonné fini, je le scannais et je l’envoyais vers Christian qui l’imprimait en bleu. Puis, il encrait les personnages, tout en me laissant les décors. Nous avons d’ailleurs affiné notre répartition en convenant qu’il réalisait tout ce qui était « mou », et je faisais ce qui était « dur ». Par exemple, il trouvait à juste titre que mon encrage était un peu trop raide pour les matières souples. »

Comparaison entre le crayonné de Christian Cailleaux et la case encrée avec Etienne Schréder

« En définitive, nous avons réellement dessiné tous les deux sur la même planche, et encré chacun notre propre partie sur chaque planche. On ne peut rêver une meilleure collaboration, au point que l’éditeur a avancé notre planning. Nous devrions être le tome 30 de la série, et nous sommes passés au tome 27. Alors que notre technique était alors rodée, il a fallu mettre les bouchées doubles pour être dans les temps. »

Une symbiose entre les deux auteurs qui permet de retrouver une partie du Londres de La Marque Jaune. Un travail qui a nécessité de la documentation, mais aussi paradoxalement de l’imagination, comme nous le précise Étienne Schréder : « J’ai bien entendu pioché dans la documentation londonienne grâce à Internet. Il y avait quelques lieux que le lecteur avait déjà assez vu comme Piccadilly Circus, j’ai donc proposé qu’on fasse tomber un brouillard sur cette place emblématique, même s’il a fallu gérer le rendu graphique de ce « fog ». D’un autre côté, nous nous sommes plus orientés sur des vues plus industrielles de Londres, et surtout de ses docks. Nous avons voulu rester au plus près de l’authentique et c’est pour cela que nous n’avons pas été sur place, car le Londres de Jacobs n’existe plus depuis longtemps. Et encore, faut-il rappeler aux puristes que les grues de "La Marque jaune" provenaient du port d’Anvers et que ses trains ainsi que ses gares étaient également calqués sur les modèles belges de l’époque ? Moralité : même la rigueur de Jacobs était élastique, et il avait comme nous l’obligation de livrer des planches pour respecter les délais. »

Extrait d’une planche du "Cri du Moloch" faisant partie de l’exposition

Que vaut ce Blake et Mortimer ?

Telle une comète qui en son temps annonçait les pires désastres ou apparaissait de bon augure selon les observateurs, Le Cri du Moloch peut décontenancer ou enchanter les lecteurs. Le récit contient effectivement des éléments qui pourraient laisser septiques certains lecteurs, notamment la part symbolique, l’intrigue qui n’applique pas une pure linéarité, ainsi que certains détails auxquels le récit ne répond volontairement pas, comme le remarquent les héros eux-mêmes. Disons-le tout net : ceux qui ont détesté L’Onde Septimus ne doivent bien entendu même pas essayer celui-ci, vu qu’il s’en réfère en droite ligne.

Par contre, cet album ravira les lecteurs qui aiment qu’on les surprenne, et surtout qu’on rajoute de l’humanité et de l’épaisseur aux personnages qu’ils connaissent depuis leur enfance. Cette humanité est amplifié par le tandem de dessinateurs, au diapason du ton de Jean Dufaux. L’encrage souple de Christian Cailleaux se marie parfaitement avec l’émotion et la fragilité que le scénariste souhaitait conférer aux personnages, tandis que le soin et l’adéquation d’Étienne Schréder apportent le respect à l’univers souhaité tant par les lecteurs que les auteurs. Ensemble, les deux dessinateurs ont donc jeté un pont complémentaire pour renforcer la cohérence de la réappropriation de Jean Dufaux.

De plus, les thèmes et le traitement à la fois réalistes et aux atours fantastiques livrent un récit prenant, où l’on louvoie aux frontières de la folie et de la fantasmatique, deux territoires très chers à Jean Dufaux, mais qui témoignent également parfaitement des environnements radicalement différents dans lesquels Jacobs pouvaient imaginer ses récits, des paradoxes que l’on retrouve notamment dans SOS Météores, Le Mystère de l’Atlantide ou Le Piège diabolique.

L’original de la couverture portugaise fait aussi partie de l’exposition qui débute ce 11 décembre

Une exposition pour cerner le nouveau tandem de dessinateurs

Alors qu’André Juillard prend le temps pour réaliser son prochain Blake et Mortimer qui se déroulera au sein des Cornouailles, et qu’Antoine Aubin peaufine son récit dans Berlin, Christian Cailleaux et Étienne Schréder apparaissent comme la seconde équipe solide des Éditions Blake et Mortimer après la révélation de Peter Van Dongen & Teun Berserik. Pour maintenir l’annualité, et préserver les rythmes de Juillard et Aubin (pour des raisons différentes), il est fort possible que l’éditeur Yves Schlirf reconduise cette seconde équipe « pour éviter toute lassitude dans l’esprit du lecteur » comme il le souhaite, tout en assurant la régularité nécessaire pour le public.

Et pour mieux comprendre la méthode de cette nouvelle équipe partie pour durer, la galerie Huberty & Breyne de Paris (8e) vous invite virtuellement (et bientôt physiquement) à analyser leur collaboration grâce aux nombreux originaux qui y seront exposés dès ce 4 décembre.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782870972922

Blake et Mortimer, Le Cri du Moloch - Par Jean Dufaux, Étienne Schréder, Christian Cailleaux & Laurence Croix d’après E. P. Jacobs - Ed. Blake et Mortimer.

Toutes les illustrations sont © 2020 - Éditions Blake & Mortimer / Studio Jacobs (Dargaud-Lombard s.a.)

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Exposition "Étienne Schréder & Christian Cailleaux - Blake et Mortimer - Le Cri du Moloch" à la Galerie Huberty & Breyne de Paris
du 11 décembre au 02 janvier 2021
36 avenue Matignon
75008 PARIS
Lundi > Samedi 11h - 19h

Lire également nos articles :
- L’interview filmée de Christian Cailleaux dans Il paraît aujourd’hui : « Le Cri du Moloch », le nouveau Blake et Mortimer
- l’interview d’Yves Schlirf : « Je veux éviter toute lassitude possible pour le lecteur de Blake et Mortimer »
- "L’Onde Septimus" prolonge "La Marque jaune"

Blake et Mortimer ✍ Jean Dufaux ✏️ Edgar P. Jacobs ✏️ Étienne Schréder ✏️ Christian Cailleaux
 
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2 Messages :
  • On peut regretter que le style de Cailleaux se dilue dans celui de Jacobs, comme jadis celui de Juillard (pour n’en citer qu’un) mais bon, c’est la loi du genre. Ce livre va élargir son public, et tant mieux pour lui, mais on espère qu’il pourra aussi revenir à des projets plus personnels.

    Répondre à ce message

  • J’avais détesté l’Onde Septimus a sa sortie.

    Je l’ai relu avant d’enchaîner directement avec ce nouvel Opus.
    C’est effectivement déroutant, Dufaux naviguant dans le fantastique, l’ésotérisme, la science-fiction comme pouvait le faire Jacobs.
    Finalement, l’Onde Septimus s’avère nettement plus digeste si on y ajoute ce Cri du Moloch.
    La cohérence du récit est bien plus évidente.
    Mais les albums ne sont pas dénués de défauts.
    Et le principal étant que focalisé sur Olrik, Dufaux fait de Blake et Mortimer des simples spectateurs de leurs propres aventures !
    Ils n’ont quasiment aucune influence directe sur le déroulé des événements.
    Et si le dessin d’Aubin sur le premier opus était absolument fantastique, celui de Cailleaux n’est absolument au niveau requis pour la série.
    Les personnages sont parfois méconnaissables. La grammaire Jacobsienne n’est pas maîtrisée, les visages sont parfois très difficilement reconnaissables et l’anatomie semble également dans certains mouvement loin d’être totalement appréhendée.
    C’est frustrant car si on accepte le le parti-pris très "science-fiction" de Dufaux, les deux albums ne déshonorent pas l’héritage de Jacobs.

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