La rentrée de L’Association : encore du lapin, et un peu de mystère

La « rentrée » de L’Association s’annonce sans chamboulement. Lewis Trondheim continue d’étoffer Les Nouvelles Aventures de Lapinot et Quentin Faucompré de diriger la revue Mon Lapin Quotidien. Seule différence notable avec la proposition éditoriale d’il y a un an : la publication d’un petit livre, à la fabrication très soignée, de Marc-Antoine Mathieu, auteur connu pour ses expérimentations en bande dessinée et sur la bande dessinée.

Midi à quatorze heure © Lewis Trondheim / L’Association 2021

Midi à quatorze heure est le septième volume de la série fétiche de Lewis Trondheim, relancée par L’Association en 2017 dans une collection dédiée, nommée « 48CC » sans doute ironiquement au vu de l’histoire de la maison. Le tome 6 n’existe pas encore. Peut-être mettra-t-il en scène une histoire se déroulant pendant la pandémie de coronavirus. On peut voir en effet dans Midi à quatorze heure des « figurants » porter des masques, tandis que Lapinot et Richard, au détour de l’une de leurs conversations, évoquent les conséquences économiques de la crise sanitaire.

Midi à quatorze heure © Lewis Trondheim / L’Association 2021

Ce septième tome ne surprendra pas les lecteurs fidèles de Lewis Trondheim : peu d’action et beaucoup de dialogues, de l’humour sage et de la tendresse pour les personnages, un regard narquois sur notre société contemporaine et une chute un poil moraliste. La question de l’engagement - en amour, en amitié, en politique, en art - est au cœur de ce volume parmi les plus réalistes de la série.

Les tics du monde de l’art contemporain sont moqués - ce n’est pas très difficile - et les préoccupations écologiques sont présentes, comme dans les tomes précédents. Placé sous le signe de la sérendipité, il contribue surtout à donner davantage de profondeur aux personnages principaux que sont Lapinot et Richard.

Midi à quatorze heure © Lewis Trondheim / L’Association 2021

Midi à quatorze heure © Lewis Trondheim / L’Association 2021

Mon Lapin Quotidien n° 18 © L’Association 2021

Autre lapin, beaucoup plus piquant celui-ci : Mon Lapin Quotidien. Le trimestriel - comme son nom ne l’indique pas - de L’Association se dirige bon an mal an vers son vingtième numéro, ce qui en soi est déjà une petite performance. Parvenir, pour un éditeur de bandes dessinées, à rassembler un si grand nombre d’autrices et d’auteurs d’horizons variés dans une revue en très grand format, et ce pendant plusieurs années : c’est inédit.

Mon Lapin Quotidien n° 18 © L’Association 2021

Après avoir codirigé Mon Lapin Quotidien avec Killoffer, Quentin Faucompré est dorénavant seul aux commandes. Il n’empêche : MLQ est par définition le fruit d’un travail d’équipe. Ce sont plus de soixante créatrices et créateurs - dessinateurs, plasticiens, romanciers, poètes, etc. - qui sont réunis dans ce dix-huitième numéro, des habitués et des nouveaux, des connus et d’autres moins. Le résultat est forcément hétéroclite : c’est justement ce qui donne envie de se plonger dans les immenses pages de la revue.

Humour et politique sont cette fois encore étroitement associées, sous la forme d’un zoom sur le « Grand Soulagement ». Le « grand remplacement » dénoncé par les populistes d’extrême-droite est ici tourné en dérision. On recommande par exemple de « Remplacer Marine Le Pen par de la polenta » ou de « Remplacer Darmanin par un bouquet de persil ». Tout cela renforce le côté Dada de MLQ, qui ne se prend toujours pas au sérieux.

Mon Lapin Quotidien n° 18 © L’Association 2021

Mon Lapin Quotidien n° 18 © L’Association 2021

Le sel et le ciel © Marc-Antoine Mathieu / L’Association 2021

Le sel et le ciel de Marc-Antoine Mathieu sort davantage des sentiers battus. D’abord parce qu’il s’agit de premier gros volume - c’est relatif - du dessinateur chez L’Association, puisque les titres qu’il avait signés jusque-là appartiennent tous à la collection de mini-livres « Patte de mouche ». Ensuite parce que ce livre n’a pas été conçu à l’origine comme une bande dessinée, mais comme une exposition dans le cadre du festival de bande dessinée de Lyon. Les images qui le constituent ont en effet pour origine une carte blanche offerte à l’auteur en juin 2018 pour s’approprier les espaces du parking de la Fosse aux Ours.

Le sel et le ciel © Marc-Antoine Mathieu / L’Association 2021

En quelques grands dessins « muets », Marc-Antoine Mathieu déroule un récit fantastique, hors du temps, presque du domaine du mythe. Des personnages humanoïdes mais sans visage, sortis de cubes posés dans un vaste espace désertique, entreprennent de dégager une épave peuplée de sculptures étonnantes de réalisme. Comme les archéologues découvrant Pompéi, ces êtres anonymes redonnent vie à un peuple figé dans son élan. Fable sur la condition humaine, vision onirique d’un avenir incertain ? L’auteur ne donne aucune clé : le lecteur se fera son avis, imaginera une histoire, ou simplement se laissera bercer par le mystère.

Le minimalisme des dessins de Marc-Antoine Mathieu pour cette création, la clarté de ses lignes et l’absence d’écrit ont facilité la réduction du format. Si l’effet est probablement moins saisissant que lors de l’exposition, l’édition papier permet de suivre aisément le déroulement de l’histoire. La qualité de l’impression, en noir et Pantone gris, et de la fabrication, sous une couverture toilée et sérigraphiée, magnifient cette lecture et en justifient le prix élevé en regard de la pagination.

Ces différentes parutions de L’Association sont loin d’en bouleverser le catalogue. Elles sont dans la continuité de la ligne éditoriale suivie depuis quelques années : s’ouvrir à un large lectorat, grâce en particulier aux livres de Lewis Trondheim, tout en poursuivant un travail plus expérimental, qu’il soit individuel avec Marc-Antoine Mathieu ou collectif avec MLQ, visant à explorer et repousser les frontières de la bande dessinée.

Maxiplotte (à paraître le 5 novembre) © Julie Doucet / L’Association 2021

L’événement le plus marquant de la fin 2021 arrivera cet automne pour L’Association, avec la parution le 5 novembre d’une énorme anthologie du travail de la Québécoise Julie Doucet. Maxiplotte réunira, sur 400 pages, la totalité de Dirty Plotte, comic book d’abord auto-édité puis publié par Drawn & Quarterly, devenu une référence mondiale de la bande dessinée alternative, mais aussi de nombreux inédits.

Libre, sincère, féministe, bouleversante : l’œuvre de Julie Doucet a été reconnue comme une influence majeure par beaucoup d’autrices et auteurs de bande dessinée. La sortie de ce ouvrage, dont la conception éditoriale et graphique est due à Jean-Christophe Menu, premier éditeur de Julie Doucet en France dès le début des années 1990, sera donc un petit événement.

Le sel et le ciel © Marc-Antoine Mathieu / L’Association 2021

Le sel et le ciel © Marc-Antoine Mathieu / L’Association 2021