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Stephen Desberg 2/2 ("H.ELL", "John Tiffany", "Cassio") : « Les codes de la bande dessinée sont parfois trop stricts »

Par Charles-Louis Detournay Christian MISSIA DIO le 3 octobre 2013                      Lien  
La rentrée 2013 est chargée pour le scénariste Stephen Desberg. Entre le lancement de nouvelles séries et ses retrouvailles avec Griffo, l'auteur nous dévoile la création de "John Tiffany", "H.ELL", et "4".

Nous avons compris que vous alliez signer une nouvelle série avec Griffo, avec qui vous aviez précédemment réalisé Sherman ?

Stephen Desberg 2/2 ("H.ELL", "John Tiffany", "Cassio") : « Les codes de la bande dessinée sont parfois trop stricts »
Le premier tome de John Tiffany vient de paraître
Pasonian & Desberg (c) Le Lombard

Oui, cette nouvelle série intitulée "4" se déclinera logiquement en quatre tomes, dont le premier paraîtra en janvier 2014 au Lombard. Étant donné que Griffo a pris un peu d’avance, je pense que nous pourrons sortir les trois premiers tomes en 2014 et la conclusion en 2015. L’univers de cette série sera très influencé par l’œuvre de Dickens mais aussi par l’histoire des Led Zeppelin sauf qu’il ne s’agira pas d’un groupe de musiciens mais d’une bande de voleurs. Quand ils sont séparés, ce sont des voleurs lambda mais ensemble, ils sont terribles ! C’est le meilleur groupe de voleurs de Londres. Ils sont malgré tout un peu particulier car ils ont énormément de problèmes d’ego.

Nous serons donc assez éloignés de l’univers de Sherman. Quelles consignes avez-vous données à Griffo ?

Après Sherman, je voulais vraiment que Griffo se laisse aller graphiquement. Son dessin devient alors plus stylisé, moins réaliste. Non seulement il raconte l’histoire, mais il parvient à faire revivre Londres au XIXe, à sa manière ! Il ne s’agit pas de demander simplement au dessinateur d’ajouter sa patte à un scénario existant, mais bien de l’impliquer lors de l’écriture,pour s’assurer que cela lui convienne au mieux. On situe chaque séquence à des endroits privilégiés, sans placer trop de descriptions afin de la faire vivre, afin qu’il puisse l’interpréter à sa manière.

Quelques extraits de John Tiffany
Pasonian & Desberg (c) Le Lombard

Vous devez trouver cette relation avec le dessinateur avant de vous lancer dans l’écriture ?

Oui… et en même temps, il y a l’exception qui confirme cette règle ! Il y a deux-trois ans, j’avais une envie folle de coucher une histoire sur papier sans avoir de dessinateur. Pendant une longue période, j’ai écrit des séries très sérieuses telles que Cassio ou Black Op et je ressentais le besoin de changer d’air. Je trouve que les codes de la bande dessinée sont parfois trop stricts, alors qu’au cinéma, c’est différent : il suffit de voir la filmographie de cinéastes tels que Quentin Tarantino ou les frères Coen pour s’en rendre compte. C’est une dimension que j’adore !

J’ai donc eu envie de développer un vrai thriller mais avec des personnages assez spéciaux. J’ai mis beaucoup d’humour dans les dialogues, à la manière de Tarantino, ce qui se fait très peu, voire pas du tout, dans la bande dessinée réaliste franco-belge. Les personnages sont donc décalés et se balancent des vannes sans arrêt. Et l’envie était si forte que j’y ai succombé en écrivant deux tomes, sans savoir où cela me mènerait.

Dan Panosian, le dessinateur de John Tiffany
Photo : (c) Le Lombard /Armen Poghosyan

Comment avez-vous alors déniché un auteur qui partagerait vos affinités à ce sujet ?

Par la suite, Antoine Morel, éditeur au Lombard, a rencontré un dessinateur lors d’un voyage à New-York. Il lui a présenté cette idée en expliquant que c’est un scénario de Desberg, et le dessinateur, Dan Panosian, a automatiquement embrayé car il connaissait mes séries du Scorpion et de l’Étoile du désert, étant fan de Marini. Finalement, nous nous rencontrons et nous passons une semaine ensemble à Los Angeles. Et par le plus grand des hasards, il se trouve qu’on réalise toute une série de liens entre sa propre vie et la construction de mes personnages. Il a donc apporté une valeur ajoutée sur un récit qui ne lui était nullement destiné. Et c’est sur la base de la relation que nous avons nouée que j’ai alors écrit les tomes 3 et 4. Et la série s’appelle John Tiffany ! Dan est d’autant plus content car il a toujours voulu travailler en Europe, tandis que la série sortira aussi sur le marché US et sera publié chez Dark Horse, dans un format proche du comics.

Pasonian & Desberg (c) Le Lombard

Vous évoquez un héros décalé, à quel niveau ?

Le héros de cette histoire, John Tiffany, est un chasseur de primes qui a très bien réussi sa carrière, mais qui s’est un peu perdu dans sa vie privée. Il est divorcé. Il a un fils qu’il ne voit pas souvent car il est constamment en voyage pour son métier. De plus, c’est un personnage qui est toujours en décalage, car il a une position par rapport à la mort qui est vraiment particulière, vous vous en rendrez compte par vous même. C’est un projet que j’aime beaucoup ! Tiffany a un ami, un pasteur afro-américain qui a un message peu orthodoxe pour un homme de foi. Il lui dit que le plus important c’est d’être bien sa peau et si,pour lui qui est un homme très occupé, s’offrir une pute de luxe de temps en temps lui fait du bien, eh bien Dieu lui pardonnera bien cela...

Combien d’albums sont prévus pour cette nouvelle série ?

Ce sera à chaque fois des diptyques. L’idéal serait d’avoir une histoire complète chaque année, mais comme Dan Panosian fait ses couleurs lui-même, on sera un peu au-delà de ça, car il termine un album en environ sept mois et demi, ce qui reste un très bon rythme. Le tome 2 sortira pour mai 2014 et nous avons signé un contrat de six albums, trois diptyques. On verra bien si le succès est au rendez-vous. Le Lombard est très motivé pour cette série, il nous soutient beaucoup.

Pasonian & Desberg (c) Le Lombard

En marge d’IR$, vous évoquiez votre nouveau projet en collaboration avec Bernard Vrancken. Comment vous êtes vous retrouvés autour d’un polar médiéval ?

H.ELL
La nouvelle série du tandem Vrancken/Desberg (c) Le Lombard

Bernard Vrancken avait envie de sortir d’IR$ car cela fait quatorze ans qu’il ne fait que cela. Le fait qu’il y ait des séries parallèles comme IR$ All Watcher et IR$ Team présente l’avantage d’une perpétuelle actualité autour de notre personnage Larry B. Max. Nous avons projeté de réaliser un one-shot ensemble, il avait aussi eu un autre projet avec une scénariste, mais finalement, tout cela ne s’est pas fait. On s’est donc retrouvés à discuter à nouveau, et je lui ai confié mon envie de faire un projet de Fantasy, dans le sens anglais du terme. J’ai adoré les romans de Game of Thrones et la série adaptée à la télévision. La virtuosité d’écriture, la gestion de ce monde, le mélange entre un monde médiéval fantastique et l’aspect du complot politique m’ont séduit, sans pour autant refaire la même chose. Passionné par la même thématique, cette idée lui parlait. Nous sommes donc partis sur cette base, en y intégrant le côté polar que l’on retrouve dans IR$.

Comment décririez-vous votre projet ?

Nous suivons un chevalier qui a été chassé de l’aristocratie sans toutefois être exilé. Il est simplement affecté dans le monde judiciaire car il a de bonnes compétences d’enquêteur. C’est un questeur, une sorte d’inspecteur de la police criminelle qui ira enquêter dans les bourgs et les cités médiévales. Il y aura un tout petit peu de fantastique, un peu de magie, des sorciers, mais ce ne sera pas Le Seigneur des Anneaux. Notre héros devra aussi enquêter sur son ancien milieu, l’aristocratie. Finalement, H.ELL c’est un peu L.A. Confidential dans l’univers de Game of Thrones.

Vrancken/Desberg (c) Le Lombard

Un mot sur Cassio : la série propose un univers réellement intéressant, mais on a pu croire à un moment qu’elle a du s’arrêter, faute d’un public suffisant !?!

Cassio se vend assez correctement, aux alentours des 15.000 sur l’année, à la nouveauté. L’éditeur ne nous dit pas d’arrêter, mais pas de non plus de continuer pendant vingt ans. On assure donc la continuité, pour maintenir le lectorat, mais on sait qu’on ne pourra pas le doubler d’un coup de baguette magique au tome 7. J’ai fini l’écriture du tome 8, et nous terminerons par un diptyque final pour conclure au dixième tome.

Vous collaborez avec Henri Reculé depuis des années. On peut donc supposer que vous anticipez déjà votre prochaine série ?

Je suis effectivement en train de travailler sur le prochain projet que je veux réaliser avec Henri Réculé, et dont le début coexistera donc avec la fin de notre série actuelle. Heureusement, Henri est capable de réaliser près de 70 planches par an. Je suis toujours très content de ma collaboration avec lui, car il s’améliore à chaque album et, à chaque projet, nous étendons notre public. Avec sa technique actuelle, il est capable de réaliser de superbes planches, avec des arrière-plans très évocateurs. Il restait donc à trouver un nouveau terrain d’expérimentation.

Cassio tome 7 : le passé et le présent entraînent le lecteur dans un tourbillon de suspens
Desberg, Reculé & Le Lombard

Comment qualifieriez-vous votre relation ?

La grande amitié que je partage avec lui représente un terreau favorable à notre collaboration. Il est très enthousiaste, ce qui aide beaucoup lorsque l’on raconte une histoire. J’avais cette même relation avec Johan de Moor sur La Vache : il éclatait de rire au moindre gag, et je savais alors sur quoi je devais appuyer. Je repartais de nos rencontres avec les moyens de m’améliorer pour la prochaine fois. C’est différent avec des dessinateurs qui vous écoutent plus religieusement. Cela ne veut pas dire qu’ils n’aiment pas, mais cela ne te permet pas toujours de ressentir leur appréciation. Avec Cassio, nous sommes arrivés en librairie après Murena et Les Aigles de Rome. Nous voulons donc travailler maintenant sur un thème porteur, mais peu traité actuellement, que nous allons aborder avec un nouvel angle de vue. Vous le découvrirez prochainement.

Desberg, Reculé & Le Lombard

Quels sont vos autres projets en fin de réalisation ?

En novembre, nous publierons Black Op T7, qui relance un diptyque avec d’autres personnages. Cela se situe juste avant la crise pétrolière des années 1970. J’ai également glissé un peu d’humour au cœur de cette série sur la CIA. Enfin, Dupuis sortira les intégrales de ma série 421 l’année prochaine. L'intégrale de <i>421</i> sortira bientôt.

Cette interview est composée de deux entretiens réalisés par Charles-Louis Detournay et Christian Missia Dio.

(par Charles-Louis Detournay)

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire nos autres articles concernant Desberg :
- Desberg et Griffo nous reviennent avec « Sherman »
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- La présentation et le lancement d’Empire USA saison 1.
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Photo en médaillon : (c) CL Detournay

 
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