Milo Manara : autoportrait de l’artiste

N’en déplaise à certains grincheux, Milo Manara demeure une référence incontournable du 9e art. Il a été des plus innovants en dynamitant le récit d’aventure avec Giuseppe Bergman, il a révolutionné la bande dessinée érotique avec Le Déclic, ses collaborations avec son ami Hugo Pratt restent inscrites au firmament du 9e art. Il n’y a pas une vacation "Prestige" digne de ce nom qui ne comprenne l’une de ses œuvres et qui ne fasse un score enviable. Enfin, son travail est internationalement reconnu au point tel qu’un Elon Musk, horresco referens, utilise ses dessins pour saluer le retour de Trump sur Twitter.

Toujours dans attente de son prochain album, son éditeur Glénat ne cesse de lui rendre hommage au cours de ces dernières années : une superbe intégrale de ce qu’on peut considérer comme son chef-d’œuvre en bande dessinée : Le Caravage et une imposante monographie graphique sont parues toutes deux en 2019, tandis qu’un sublime Artbook, intitulé Passions femmes, paraissait l’année suivante.

Rebelotte : voici quelques semaines, un nouveau beau livre, encore et toujours chez Glénat. Est-ce bien utile ? Y a-t-il encore matière à traiter et à partager ? À la lecture de cet "autoportrait" intitulé Milo Manara - Grandeur nature, nous pouvons répondre avec un grand « Oui » à ces deux questions ! Car il s’agit d’une autobiographie qui séduira le public le plus large. Pas d’introspection psychologique que l’on tartine sur des dizaines de pages, non, Manara se livre en petites touches successives, comme un peintre sur un tableau, par le biais de 80 chapitres aussi courts que bien écrits. Avec une belle phrase d’accroche qui donne envie d’entrer dans chacun d’eux, tous composés que d’une page ou deux. On lit donc rapidement, sans que l’intérêt retombe, les souvenirs de ce grand artiste.

Cette facilité de lecture est boostée par les dessins, croquis, photographies, aquarelles et peintures qui illustrent chaque chapitre. Certes, certains sont plus connus, presque iconiques de son œuvre, mais d’autres sont plus rares, méconnus, contentant les passionnés comme les profanes, constituant un merveilleux panorama de son travail depuis près de cinquante ans.

Ajoutons que ce livre broché de format moyen, de 220 pages, reste très léger, au contraire de l’imposant Sublimer le réel qui pesait 3,5 kg, ce qui le rend extrêmement agréable à lire. Soit d’une traite, soit en picorant dans les chapitres au gré d’un coup de cœur pour une période, d’une illustration qui interpelle ou d’une phrase d’accroche bien troussée.

Mais que penser du contenu proprement dit ? Si vous n’avez jamais lu de biographie de Manara qui revient en détails sur les étapes de sa carrière, vous serez alors conquis par celle-ci. Le maestro n’oublie aucun de ces moments marquants : les fumetti érotiques qui lui ont mis le pied à l’étrier, son travail sur l’Histoire de France en bande dessinée qui raffermit sa technique, sa rencontre et son amitié avec Hugo Pratt, sans oublier le fameux coup de pied sous la table que l’auteur de Corto lui lance lors d’un déjeuner avec Casterman et qui lance sa carrière. Enfin, Le Déclic, Fellini, Jodorowsky, Valentino Rossi, Neil Gaiman, sa collaboration pour Marvel, ses collaborations avec les grandes marques publicitares et bien d’autres.

La saveur particulière provient de la façon simple et naturelle qu’a Manara de raconter tout cela. Il n’y a pas de vanité dans ses propos, juste un plaisir de dessiner et de vivre chaque nouveau défi comme une possibilité d’apprendre et de progresser. Il est à noter que parfois le maestro est très critique vis-à-vis de lui-même, peu satisfait d’une réalisation, ce qui le pousse à se dépasser dans la suivante. Sa maîtrise progressive des outils, comme la couleur directe, provient de cet appétit d’expérimentations graphiques, ce besoin de se mettre en danger qui reste l’apanage des grands artistes.

Par le biais de ces courts chapitres, l’auteur aborde quantité de petits sujets, comme ces collaborations qu’il a refusées qui éclairent tout autant sa personnalité.

Même si l’on regrette un dernier chapitre de trop qui vient gâcher une conclusion formulée plus tôt, voici un ouvrage des plus aboutis, promesse de belles découvertes graphiques et anecdotiques concernant un maître du neuvième art à l’œuvre sensuelle sans égale.