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Christophe Bec : "Je voulais un western classique, qui respire l’authentique."

Par Charles-Louis Detournay le 20 septembre 2019                      Lien  
Tout d'abord dessinateur, Christophe Bec s'est focalisé depuis plusieurs années sur ses activités de scénariste, avec l'envie de faire perdurer les genres qu'il affectionne. Parmi ceux-ci, le western, auquel il vient de rendre hommage avec cette nouvelle série : Gunfighter !

Christophe Bec : "Je voulais un western classique, qui respire l'authentique."Ressentiez-vous depuis longtemps l’envie de réaliser un western ? Car je ne considère pas personnellement que votre diptyque de Death Mountains soit un western, plutôt une épopée humaine historique (et tragique)…

À mes yeux, Death Mountains n’était effectivement pas un véritable western. En réalité, je suis fan du genre depuis que je suis tout gamin. Que cela soit au cinéma, principalement avec Sergio Leone, ou en bande dessinée, avec entre autres Blueberry, Jonathan Cartland, Mac Coy et les autres. Depuis le début de ma carrière, j’ai donc toujours nourri l’envie de réaliser un western, mais lorsque j’ai commencé à scénariser, ce n’était plus le genre plébiscité par les éditeurs. Heureusement, le western a connu un revival il y a quelques années, et Glénat a alors accepté ce scénario que j’avais écrit il y a huit ans.

Restait à trouver le dessinateur pour le réaliser ?

J’ai été rechercher Michel Rouge qui m’avait ébloui sur Les Écluses du ciel, et notamment sur Comanche et Marshal Blueberry. Je l’ai d’ailleurs convaincu de reprendre l’encrage, alors qu’il avait lâché le pinceau depuis longtemps. Pourquoi Michel Rouge ? Car il a le western dans le sang, et qu’il est d’une honnêteté totale dans son genre de prédilection.

Le choix de Michel Rouge s’apparente également au ton de votre récit : un western somme toute classique, avec un vrai retour aux fondamentaux ?

Le western est un genre tellement balisé qu’il faut opérer un choix d’entrée de jeu : soit on casse les codes, soit on privélegie une optique plus classique. J’ai opté pour ce second choix, doublé de la volonté de placer des éléments un peu différents, qui réalisent d’ailleurs des liens avec des thématiques actuelles. Ainsi, Gunfighter traite des barbelés, une thématique abordée entre autres dans Lucky Luke et une demie-douzaine de films, ce qui reste faible par rapport à son potentiel. La fin de l’Open Range marque les débuts de l’impérialisme américain, une période assez symbolique, et je me devais donc de choisir un dessinateur classique pour un récit de facture classique.

J’étais également intéressé par cette opposition entre les éleveurs de masse et les petits producteurs, un conflit qui fait d’ailleurs écho à nos préoccupations d’aujourd’hui et des différences de mentalités cruellement actuelles. Puis cette thématique peu explorée m’a permis de tomber sur une anecdote historique que j’ignorais : ces fameux « coupeurs de barbelés », des hommes qui réalisaient de véritables opérations commandos, et qui débouchaient souvent sur un règlement sanglant. Il avait là matière à donner plus de relief à mon personnage principal, pour dépasser le stade du gunfighter classique. Pour mon récit, je voulais une vraie différenciation, et ces coupeurs de barbelés étaient exactement ce dont j’avais besoin pour particulariser la série.

Vous jouez d’ailleurs beaucoup sur le mystère de votre héros, car il ne commence à se dévoiler qu’après la moitié de l’album : un risque calculé ?

Plutôt une envie de respecter les codes du genre. Parmi d’autres, Sergio Leone insistait sur le mystère de ses héros. Parfois un flashback donnait un coup de projecteur pour expliquer les motivations du personnage, mais souvent, ils restaient très lisses. J’ai donc souhaité respecter cet ordre établi, sans toutefois m’y cantonner car je ne voulais pas réaliser un western spaghetti en bande dessinée. Des éléments de la seconde partie du premier tome permettent de déjà mieux comprendre le passé de notre Gunfighter, et le second tome apportera encore plus d’éléments. Afin de faire progressivement deviner au lecteur son passé, et lui donner une approche plus réaliste qu’un simple costume de tueur.

Cette approche plus réaliste se traduit également par la place des cow-boys, au centre de votre récit alors qu’ils sont souvent mis paradoxalement de côté dans les westerns ?!

Vous savez, les cow-boys composaient l’une des plus basses couches de la société de l’Ouest, à peine au-dessus des clochards. Les cow-boys étaient d’ailleurs des clochards pour une bonne partie d’entre eux : des saisonniers payés à la journée, qui ne possédait ni cheval, ni selle, ni même de stetson. Ils passaient alors des mois dans la poussière à convoyer des bêtes dans des conditions d’hygiènes assez déplorables. Sales et hirsutes, ces véritables pouilleux sentaient très mauvais et colportaient parfois des maladies, de quoi les placer au ban de la société de l’époque. En abordant cette thématique, je voulais montrer que le récit s’éloigne volontairement du cinéma des années 1960. Je me suis plus inspiré des années 1970, où l’on commençait à déboulonner le genre. Je voulais du relief, tout en respectant les codes.

Dans Gunfighter, Michel Rouge a abandonné la mise en pages en trois bandes qu’il utilisait dans Comanche, pour multiplier le nombre de cases, et proposer des alternances de mises en page. L’une de vos demandes j’imagine ?

Oui, pour revenir aux codes du genre, je voulais opter pour les quatre bandes des Blueberry. J’avais d’ailleurs prévenu Michel qu’il aurait parfois beaucoup de cases à dessiner par planche, ce qui serait sans doute un challenge pour lui. Par exemple, la scène de la pendaison multiplie les cadrages et les points de vue ; elle l’a considérablement fait souffrir ! Je pense que c’est son fils Corentin Rouge qui l’a aidé à débloquer la scène. Corentin réalise les couleurs de son père depuis des années, et il apporte ici une réelle plus-value au niveau des atmosphères. Certainement fait-il également quelques propositions à son père, ce qui apporte une certaine touche de modernité dans la mise en page, tout en conservant le style classique : un beau mélange des deux !

Puis Michel Rouge détient un talent rare, que la nouvelle génération a perdu d’une certaine façon : cette capacité de donner le sentiment de grand espace dans toutes ses cases, même les plus petites. Il confère au récit ce sentiment d’immensité sans que cela alourdisse le rendu des pages. Une aptitude indéniable que je serais personnellement incapable de mettre en place. Dans un western, cette capacité se révèle un bénéfice crucial.

Outre la mise en page, la scène de pendaison renforce le ton réaliste de la série. Une volonté de souligner une démarche plus authentique ?

Dans le western classique, les pendaisons sont souvent rapides et expéditives. En réalité, il était rare qu’une potence soit érigée. C’était d’ailleurs un véritable spectacle public auquel les foules se pressaient. J’ai retrouvé des comptes-rendus de mise à mort qui duraient une dizaine de minutes, et je trouvais important d’apporter cette touche d’authenticité dans notre récit.

Ce spectacle morbide fait partie des petites touches que j’apporte ça et là. Une façon de montrer qu’à l’époque, tuer un homme était moins grave que voler un cheval, une époque où un juge s’écrasait face aux gros propriétaires terriens. De nouveau, un parallèle que l’on peut opérer avec notre actualité où des multinationales bafouent parfois les lois, sans craindre vraiment de représailles.

Vous parliez de l’immensité des espaces ressentie dans chaque case. Une fois de plus, on perçoit que la nature est un vrai personnage de votre récit, qu’il s’agisse des plaines de l’Ouest ou des intempéries, qui plongent d’ailleurs directement le lecteur dans l’âpreté du western ?

Dans mes récits, la nature sera toujours plus forte que l’homme. Ce qui demeure aujourd’hui était encore plus vrai à l’époque. On a beau mettre des barbelés, dès qu’il y a un gros orage, les clôtures ne tiennent plus face à la force des éléments.

Une autre thématique qui me tenait à cœur était les différentes méthodes d’élevage. Dans l’album, on voit que certains propriétaires pratiquent le métissage entre les bovins, tandis que d’autres veulent maintenir la vraie race pure. Étant d’origine aveyronnaises, j’ai toujours un coup de cœur pour l’Aubrac, cette race bovine typique. Donc, lorsque j’ai appris au cours de mes recherches que certains éleveurs avaient fait importer des vaches africaines afin de réaliser des croisements pour améliorer le rendement de leurs bêtes, j’ai trouvé un autre élément que je voulais absolument placer dans le récit, histoire de distinguer Gunfighter des autres westerns.

En combien d’albums se bouclera votre intrigue ?

Il s’agit pour l’instant d’un diptyque. Rien n’empêchera de continuer par la suite si toutes les parties prenantes sont d’accord, mais attendons déjà de boucler ce deuxième tome. Michel Rouge prend le temps de dessiner ses planches, un choix assez rare dans une époque où l’on ressent le nécessiteux besoin de boucler souvent (trop) rapidement. J’apprécie d’autant plus chaque planche que je reçois, et j’invite le lecteur à en faire autant.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Notre chronique de Gunfighter, assortie des commentaires de Michel Rouge

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Lire quelques-unes des chroniques des autres albums de Christophe Bec :
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- Wadlow
- Rédemption
- Fontainebleau avec Alessandro Bocci
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- Under tome 1
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Photo en médaillon : Charles-Louis Detournay.

 
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3 Messages :
  • Un bon album avec de superbes dessins. Mais concernant l’histoire, il va falloir attendre le tome 2 pour se prononcer vraiment... A déplorer juste le dessin de la couverture. La composition est bonne, l’impact visuel aussi, mais on aurait préféré que ce soit réalisé comme une belle peinture à l’huile : Michel Rouge sait faire (Cf. Les écluses du ciel).

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  • J’ai acheté l’album malgré la couverture qui ne rend malheureusement pas grâce à la richesse des planches de Michel Rouge. On dirait davantage une (bonne) affiche de promotion que le véritable écrin dont aurait eu besoin l’album. Quel dommage !
    J’espère que le succès sera malgré tout au rendez-vous !

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    • Répondu par kyle william le 18 septembre 2019 à  14:45 :

      Ça ressemble à un travail de qualité et Michel Rouge est un disciple de Giraud très crédible. On peut quand même constater que seule la bande dessinée est capable de proposer en 2019 une production d’une facture aussi classique, comme si rien ne s’était passé depuis les années 70 ou 80. Inimaginable au cinéma où en littérature. C’est aussi pour ça que la bande dessinée continue à souffrir d’un mépris certain de la part des médias et des ministres de la culture : même si elle est capable d’innover et dispose d’une avant-garde souvent talentueuse, une énorme proportion de sa production et de son public restent profondément passéistes.

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