C’était déjà en 1982, dans le numéro 53 de la revue (À Suivre) que François Schuiten & Benoît Peeters posaient la première pierre de cet étrange univers, qui allait se construire ville après ville, sur près d’une trentaine d’années. Ce qui est devenu, entretemps, une série incontournable de la bande dessinée, séduisant jusqu’au Japon où les auteurs ont été primés, avait pourtant de quoi surprendre initialement.
Leur premier récit, intitulé Les Murailles de Samaris captive autant qu’il intrigue. Un an après sa sortie en album, ses auteurs composent d’ailleurs une nouvelle conclusion au récit, en lui rajoutant deux pages. D’emblée, la légende est créé, Les Cités obscures seront un univers en perpétuelle (re)création, dont les auteurs tentent eux-mêmes de nous traduire au mieux les bribes d’informations qu’ils glanent au gré de leurs explorations.
Personnellement, je me rappellerai longtemps du spectacle auquel j’ai pu assister il y a près de vingt ans, où les auteurs conféraient à leur travail une aura de mystère complémentaire qui rendait leur univers encore plus attractif. Car rien n’est facile dans Les Cités obscures, ni gratuit. Chaque choix est le fruit d’une réflexion construite par ces deux amis d’enfance qui ont poussé aussi loin qu’ils le pouvaient la force de leur imaginaire et leurs expérimentations tant graphiques que narratives.
Ainsi, chaque album devait être différent des autres, dans la forme et dans le fond. Certes, on parlait toujours des villes, et le souffle architectural de François Schuiten a longtemps été l’une des cartes de fabrique de la série. Mais ce qui sous-tend l’ensemble reste surtout les propres centres d’intérêt des auteurs : les cartes, certains artistes, Bruxelles et son palais de Justice, leurs amis auteurs et cinéastes, etc. Et chaque pan de l’univers se devait de revêtir une autre forme (livre illustré, bande dessinée, récit audio, etc.) ou bénéficier d’autres outils pour être dessinés.
Un album pivot
Les Cités obscures profitent également d’autant de récits que d’ouvrages connexes. Presque impossible de distinguer la série en elle-même de ses hors-séries, car chaque ouvrage participe à la construction du mythe. Les auteurs ont eux-mêmes rédigé des voies transversales qui explorent (et parfois expliquent) leur univers, lorsqu’ils ne l’étendent pas par la même occasion. On pense au fondamental Guide des Cités, un véritable guide de voyage d’une fantastique puissance créatrice, mais aussi à L’Archiviste, le premier hors-série public paru en 1987 et qui emprunte ses voies de traverse. Comment dès lors s’étonner que les auteurs aient choisi de le rééditer pour célébrer cet anniversaire ?!
Rappelons que cet ouvrage se distinguait déjà par sa forme à l’époque. Il s’agit d’un livre de dimensions hors normes, qui reprenait le récit d’un archiviste de notre monde, découvrant de magnifiques dessins tirés des Cités obscures. Après l’introduction, on profite comme le personnage central, du formidable travail d’illustration de François Schuiten, et de l’imagination des deux auteurs.
Cette réédition dans un format plus propice au rangement dans une bibliothèque, reprend le contenu de la dernière version publiée en 2000, et donc la quinzaine de pages complémentaires. En effet, par rapport à la première édition, celle-ci comporte deux planches de bande dessinée en plus. Trois grandes illustrations ont été retirées, et beaucoup ont été ajoutées afin de porter l’ensemble à 27 pièces à la place des 21 originelles.
Par rapport à l’édition originale, on compte donc 9 nouvelles illustrations, accompagnées à chaque fois de leurs pages d’introduction illustrées, soit 18 pages auxquelles se rajoutent les deux planches de bande dessinée. Bref, une bonne occasion pour les aficionados qui en seraient restées à la première "grande" édition, de sauter le pas afin de s’offrir celle-ci. Rajoutons que les auteurs ont glissé dans l’album une carte pliée en quatre. Il s’agit de la dernière mise à jour de leur continent imaginaire, celle qui abrite tous les lieux et surtout les villes qui forment Les Cités obscures, voir ci-dessous :
Y aura-t-il un nouvel album des Cités obscures ?
Un élément de cette réédition serait presque anecdotique si cette nouvelle n’était pas une promesse inattendue ! En effet, sur l’un des pans de cette carte, là où les auteurs ont listé les albums « principaux » de leur série, on peut lire : « Le Retour du Capitaine Nemo (à paraître) ». Pourquoi ces quelques mots peuvent-ils soulever l’enthousiasme des lecteurs ? Tout simplement car François Schuiten nous avait déclaré il y a trois ans, qu’il arrêtait la bande dessinée ! De plus, le dernier récit de cet univers est paru il y a plus de dix ans, et la fabuleuse (mais inéluctable) intégrale publiée il y a cinq ans semblait définitivement geler pour l’éternité l’opportunité de profiter d’un nouveau récit des Cités obscures.
François Schuiten aurait-il donc renoncé à son vœu ? Non, comme nous l’explique leur site internet Altaplana, L’Encyclopédie impossible et infinie du monde créé par Schuiten & Peeters, ce futur ouvrage serait un récit illustré, un peu dans l’esprit d’ailleurs de L’Archiviste (et donc pas d’une bande dessinée), destinée à être publié dans un an, à l’automne 2023.
Comme l’expliquait l’auteur à Amiens cet été, le point de départ de ce récit est la statue qu’il est en train de réaliser en collaboration avec le sculpteur Pierre Matter. L’idée est de rendre hommage à Jules Verne, un auteur que Schuiten apprécie particulièrement et pour lequel il a déjà réalisé un bon nombre d’illustrations. Il est ici parti dans la direction du Nautilus et de son combat contre le poulpe géant.
Ces informations concernant cet ouvrage en cours de réalisation sont bien entendu temporaires et peuvent être modifiées à tout instant. Nous vous conseillons donc de déjà profiter des albums en libraire, L’Archiviste et l’intégrale des Cités obscures. Et ceux qui voudraient en savoir plus sur ce passionnant univers sont invités à visiter sur le très beau site des auteurs.
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Visiter le site d’Alta Plana, "L’Encyclopédie impossible et infinie du monde créé par Schuiten & Peeters" et lire l’article consacré plus spécifiquement au Retour du Capitaine Nemo.
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