Benoit Mouchart, le directeur artistique du Festival parle du perpétuel « déchirement » que consiste, pour un jury de présélection, de faire un choix au milieu des quelques 3600 nouveautés produites dans l’année dans l’espace francophone.
On le sent bien, le jury a fait un effort cette année pour obtenir une répartition équilibrée entre les ouvrages de moindre audience et ceux susceptibles de toucher le plus large public. Il est vrai que nous constations chaque année les manques criants d’une sélection qui passait à côté de pans entiers de la production, en particulier celle qui s’attache à la dimension populaire du medium, responsable pourtant de son succès depuis des décennies. L’humour, l’aventure, voire l’histoire avec un grand H, étaient écartés au profit d’œuvres issus de la même coterie un peu snob, certains choix apparaissant comme d’évidents repoussoirs.
Cette année, le comité de sélection, composé de Céline Bagot (responsable de Projets et du Pôle Jeunesse du Festival), Yanis Berrouka (chef de produit BD, Fnac), Olivier Delcroix (journaliste), Christian Marmonnier (journaliste), Benoît Mouchart (directeur artistique du Festival), Emmanuèle Payen (responsable du service de l’Action culturelle de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou) et Marc Szyjowicz (libraire), était le fait d’un mélange de journalistes et de libraires spécialisés et de responsables de librairie dont on ignore s’ils sont vraiment grands lecteurs de BD.
La multiplication des éditeurs ne simplifie pas non plus la tâche du jury et la masse des titres provoque forcément un effet d’entonnoir : il est évident qu’aucun de ses membres n’a fait son choix sur la lecture de plus de 3000 titres. Il y a donc forcément une part subjective, sinon un choix esthétique. Michel Tournier, membre du jury de l’Académie Goncourt, ne faisait pas mystère que certains romans étaient rejetés après une lecture en diagonale, voire sur une seule phrase. Le jury de présélection du FIBD a dû faire de même.
Mais là n’est pas l’important : On aimerait connaître la philosophie de cette sélection dont les motifs ne nous apparaissent pas transparents. La représentativité de la production actuelle, au sein de laquelle le jury final choisirait subjectivement les meilleurs, nous semble relever du bon sens.
Or, nous constatons que cette représentativité n’est pas assurée. Si l’on fait une rapide analyse des labels représentés, on remarquera que, une fois de plus, les éditions Glénat sont les grandes perdantes de cette année avec deux nominations dans la sélection officielle : L’Île au poulailler de Laureline Mattiussi et Il était une fois en France de Nury et Vallée, et encore, le tome 3 de la série. Est-ce à dire que rien de ce qui a été publié chez cet éditeur est représentatif de la production actuelle en France ? Interrogeant notre spécialiste maison, Charles-Louis Detournay, sa réponse est sans ambages : « C’est comme l’année dernière où Glénat n’avait aussi recueilli que deux nominations. Cela traduit surtout la capacité d’un Delcourt à choisir des auteurs et des œuvres susceptibles de s’inscrire dans un genre d’ouvrages qui plaît à ce type de jury. » On notera aussi l’absence des labels Bamboo et Emmanuel Proust qui n’ont pourtant pas démérité cette année.
Pourquoi cette « représentativité », on le voit ici déficiente, est-elle nécessaire ? Car il y a derrière un volet promotionnel : tous ces titres sont mis en avant par les partenaires du Festival, FNAC et SNCF. Autant qu’elle soit à l’image de la BD en général afin que le public y trouve son compte.
Mais là encore, les limites de l’exercice sont criants. Sur 96 titres choisis par le jury de présélection dans la production de l’année (officielle + patrimoine + jeunesse), seuls 20 seront mis en avant par les FNAC. Sur quels critères ? Mystère. Probablement sur la base du scoring des meilleures ventes car il ne faut pas rêver, la FNAC n’est pas une entreprise philanthropique. Une fois de plus, la contradiction entre les « goûts du jury » et sa réalité sur le terrain apparaît.
En « lot de consolation », le groupe Glénat est présent dans les sélections Patrimoine (2 nominations) et dans la sélection Jeunesse (3 nominations) où l’on retrouve des intégrales Spirou et Johan et Pirlouit qui auraient aussi bien pu être sélectionnés dans la sélection patrimoine. On ajoutera la curiosité qui consiste à trouver dans la sélection 2010, un titre, l’intégrale du Grand Duduche paru en... décembre 2008 !
Enfin, deux jurys bien distincts dont l’hétérogénéité marque une nouvelle contradiction produiront le palmarès :
Un jury composé et présidé par Blutch pour les sélections officielle et patrimoine.
Un jury d’enfants de 8 à 14 ans pour la sélection jeunesse.
Nous reviendrons sans aucun doute sur cette sélection dans les prochains jours. Demain, nous vous livrerons un aperçu du programme du prochain festival et une interview exclusive de son directeur artistique Benoit Mouchart.
LA SÉLECTION OFFICIELLE
L’Affaire des affaires T1 (Laurent Astier, Yan Lindingre, Denis Robert – Dargaud)
Allegro Deprimoso (Romain Dutreix – Fluide Glacial)
Alpha (Jens Harder – Actes Sud/ L’An 2)
L’Ancien Temps T1 (Joann Sfar – Gallimard)
Au Rallye (Pierre Place – Warum)
Aujourd’hui n’existe pas (Ancco – Cornélius)
Billy Brouillard T1 (Guillaume Bianco – Soleil)
Blast T1 (Manu Larcenet – Dargaud)
Blessure d’amour propre (Martin Veyron – Dargaud)
Britten et associé (Hannah Berry – Casterman)
Commandant Achab T1 (Stéphane Douay et Stéphane Piatzsek – Quadrants)
Dix petits insectes (Vincent Pianina et Davide Cali – Sarbacane)
Droit du sol (Charles Masson – Casterman)
Dungeon Quest T1 (Joe Daly – L’Association)
Eightball (Daniel Clowes – Cornélius)
Les Enfants du Capitaine Grant T1 (Alexis Nesme d’après Jules Verne – Delcourt)
L’Épervier T7 (Patrice Pellerin – Quadrants)
La Genèse (Robert Crumb – Denoël Graphic)
George Sprott 1894-1975 (Seth – Delcourt)
La Guerre d’Alan – Intégrale (Emmanuel Guibert – L’Association)
Hector Umbra – Intégrale (Uli Oesterle – Akileos)
L’Homme Bonsaï (Fred Bernard – Delcourt)
Ida T1 (Chloé Cruchaudet – Delcourt)
Ikigami, Préavis de mort (Mase Motoro – Asuka)
Il était une fois en France T3 (Sylvain Vallée et Fabien Nury – Glénat)
L’Île au poulailler T1 (Laureline Mattiussi – Treize étrange)
James Bond, les origines : Silverfin (Kev Walker et Charlie Higson – Casterman)
Je mourrai pas gibier (Alfred – Delcourt)
Je ne suis pas mort (Hiroshi Motomiya – Delcourt)
Jérome K. Jérome Bloche T21 (Alain Dodier – Dupuis)
La Jeune Fille et le nègre T2 (Judith Vanistendael – Actes Sud/L’An 2)
Jolies Ténèbres (Kerascoët et Fabien Vehlmann – Dupuis)
Keko le magicien (Carlos Nine – Rackham)
Kinky et Cosy – Intégrale (Nix – Le Lombard)
Lincoln T6 (Jérôme Jouvray et Olivier Jouvray – Paquet)
Magasin général T5 (Régis Loisel et Jean-Louis Tripp – Casterman)
Manioka (NkodeM – Casterman)
Messire Guillaume – Intégrale 1 (Matthieu Bonhomme et Gwen de Bonneval – Dupuis)
Milan K. T1 (Corentin et Sam Timel – Les Humanoïdes associés)
Misery loves comedy (Ivan Brunetti – Cambourakis)
L’Or et le sang T1 (Merwan Chabane, Fabien Bedouel, Maurin Defrance et Fabien Nury – 12Bis)
Pachyderme (Frederik Peeters – Gallimard)
Pascal Brutal T3 (Riad Sattouf – Fluide Glacial)
Paul T6 (Michel Rabagliati – La Pastèque)
Le Petit Rien tout neuf avec un ventre jaune (Pascal Rabaté – Futuropolis)
Primal Zone (Pierre-Yves Gabrion – Delcourt)
La Princesse du sang T1 ( Jean-Patrick Manchette, Max Cabanes et Doug Headline – Dupuis)
Rébétiko (David Prudhomme – Futuropolis)
Le Réveil du Zelphire (Karim Friha – Gallimard)
Rosalie Blum T3 (Camille Jourdy – Actes Sud)
La Saison des flèches (Samuel Stento et Guillaume Trouillard – La Cerise)
Siegfried T2 (Alex Alice – Dargaud)
Le Signe de la Lune (José Luis Munuera et Enrique Bonnet – Dargaud)
Tea Party (Nancy Peña – La Boîte à bulles)
Une histoire populaire de l’Empire américain (Mike Konopacki et Howard Zinn – Vertige Graphic)
Une vie chinoise T1 (Li Kunwu et P. Ôtié – Kana)
Le Vagabond de Tokyo : Résidence Dukudami (Fukutani Takashi – Le Lézard noir)
La Vierge froide et autres racontars (Hervé Tanquerelle et Gwen de Bonneval – Sarbacane)
LA SÉLECTION PATRIMOINE
American Splendor – Anthologie 1 (Harvey Pekar et collectif de dessinateurs – Çà et là)
Cyber 009 (Shotaro Ishinomori – Glénat)
L’Éternaute (Hector G. Oesterheld et Francisco Solano Lopez – Vertige Graphic)
Gil Jourdan – Intégrale 1 (Maurice Tillieux- Dupuis)
Le Grand Duduche – Intégrale (Cabu – Vents d’Ouest)
Josette de rechange (Charlie Schlingo – L’Association)
Paracuellos (Carlos Gimenez – Fluide Glacial)
Sarutobi (Osamu Tezuka – Cornélius)
LA SÉLECTION JEUNESSE
Astro Boy – Anthologie 2 (Osamu Tezuka – Kana)
Bjorn le morphir T1 (Thomas Gilbert et Thomas Lavachery – Casterman/L’École des loisirs)
Celle que je voudrais être (Vanyda – Dargaud)
Les Chroniques de Wakfu T1 (Tot et Collectif – Ankama)
L’Élève Ducobu T15 (Godi et Zidrou – Le Lombard)
Ernest et Rebecca T2 (Antonello Danella et Guillaume Bianco – Le Lombard)
Esteban T3 (Mathieu Bonhomme – Dupuis)
Fairy Tail T9 (Hiro Mashima – Pika)
Johan et Pirlouit – Intégrale 4 (Peyo – Dupuis)
Les Légendaires T11 (Patrick Sobral – Delcourt)
Lou T5 (Julien Neel – Glénat)
Les Nombrils T4 (Delaf et Dubuc – Dupuis)
Pico Bogue T3 (Alexis Dormal et Dominique Roques – Dargaud)
Raghnarok T6 ([Boulet – Glénat)
Le Royaume T1 (Benoît Feroumont – Dupuis)
Seuls T4 (Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann – Dupuis)
La Sorcière du placard aux balais (Florence Dupré la Tour, d’après Pierre Gripari – Gallimard)
Les Souvenirs de Mamette T1 (Nob – Glénat)
Spirou et Fantasio – Intégrale 7 (Franquin – Dupuis)
Une sacrée mamie T2 (Saburô Ishikawa et Yôshichi Shimada – Delcourt)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Laurent Boileau)
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En médaillon, le dessin -bien peu "blutchien"- de l’affiche de Festival 2010.
Festival d’Angoulême du 28 au 31 janvier 2010.
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